Sans les familles
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- Publication : mardi 21 octobre 2014 09:43
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale, adopté le 8 octobre en conseil des ministres, prévoyait, « afin de réduire le déficit de la branche famille et réaliser 700 millions d’euros d’économies » :
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Le maintien de la durée du congé parental à trois ans maximum à partir du deuxième enfant à la condition que le deuxième parent prenne désormais un congé de six mois,
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la diminution des aides à la garde d’enfant pour les ménages les plus aisés,
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la division par trois à partir du deuxième enfant de la prime à la naissance versée sous conditions de ressources en fin de grossesse (308 euros contre 923 euros).
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le report de 14 à 16 ans de la majoration mensuelle des prestations familiales pour les enfants nés à compter du 1er janvier 2001.
La décision d’écarter les trois derniers points, en réduisant de 30 à 24 mois pour le parent 1 (comme ils disent) la durée du congé parental et de « moduler les allocations familiales en fonction du revenu », aurait été prise à la demande de l’aile gauche de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale.
Cette décision a suscité une coalition spontanée, rassemblant l’Union nationale des associations familiales et l’épiscopat, avec Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT qui y voit « une remise en cause sans précédent de ce qu’on appelle l’universalité » et Benoît Hamon qui s’est dit « attaché à l’universalité ».
François Hollande est le premier opposant à cette mesure, puisqu’en réponse à un questionnaire adressé par l’UNAF aux candidats à la présidentielle, il affirmait, en mars 2012 : « Je reste très attaché à l'universalité des allocations familiales [.] Elles ne seront donc pas soumises à conditions de ressources. »
Seul Manuel Valls voit dans cette réforme une mesure juste, avec cette précision : « Ce n’est pas une mise sous conditions de ressources. C’est une modulation selon le revenu » ! En effet, ce ne sont pas les allocations familiales qui sont mises sous conditions de ressources, mais le montant de ces allocations !
Cette modulation n’est qu’une étape de plus du processus qui a consisté depuis le début des années à 70 à affecter des fonds des caisses d’allocations familiales à des mesures sociales rendues indispensables par la paupérisation de la France.
En 1951, les prestations versées par les organismes débiteurs des prestations familiales, qui représentaient 3,7% du PIB étaient directement versées aux familles, sans conditions de ressources.
En 2012, ces prestations, toujours égales à 3,7% du PIB, d’un montant de 76 milliards, se répartissent comme suit :
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au titre de la petite enfance (Prestation d’accueil du jeune enfant), 6,8 milliards de prestations familiales sous conditions de ressources et 5,8 modulés selon les ressources.
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Au chapitre « Enfance et jeunesse », 13,8 milliards de prestations familiales universelles et 3,6 de prestations familiales sous conditions de ressources.
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Au chapitre logement, 4,3 milliards de prestations familiales sous conditions de ressources et 12,2 milliards de prestations sociales sous conditions de ressources
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Au chapitre solidarité (RSA), 21,6 milliards de prestations sociales sous conditions de ressources.
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Au chapitre insertion (handicapés), 8,3 milliards de prestations sociales sous conditions de ressources
Au total :
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34, 3 milliards de prestations familiales, dont 13,8 universelles, 5,8 modulées selon les ressources et 6,8 sous conditions de ressources.
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42,1 milliards de prestations sociales, naturellement sous conditions de ressources
La réforme en cours revient à transférer 12,5 milliards des prestations familiales universelles aux prestations familiales modulées selon les ressources. Ses inconvénients majeurs sont de deux sortes.
Selon un phénomène maintes fois constaté, les effets de la non revalorisation des plafonds prévus à 6000 et 8000 euros mensuels s’ajouteront à ceux d’une revalorisation a minima des allocations familiales (1,2% au 1er avril 2013 et 0,6% au 1er avril 2014), accroissant automatiquement le nombre de familles touchées par la mesure.
La mise à mal de la solidarité à revenu égal entre ceux qui élèvent des enfants et ceux qui n’ont pas cette charge s’étendra naturellement à l’assurance maladie, comme l’envisageait Martin Hirsch et aux retraites, comme le craint Michel Godet dans le numéro 719 de Population et Avenir.
Ces situations auront pour résultat un déplacement vers des solutions privées (assurance maladie et retraites) et une aggravation de l’exil déjà inquiétant des entrepreneurs dont notre pays a besoin.
Philippe Gorre