Courriel d’un ancien parlementaire à un jeune député à propos du mariage homosexuel
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- Publication : mercredi 6 mars 2013 10:08
Cher Collègue,
Dans votre dernier message, vous me demandez si les débats « sociétaux » auxquels j’ai participé dans ma carrière parlementaire, ont ressemblé à celui qui vient de se dérouler dans l’hémicycle. Je vous réponds que je leur vois moins de ressemblance que de continuité : selon moi, les discussions qui ont accompagné la légalisation de l’avortement, il y a presque quarante ans, l’institution du pacs en 1999 et l’ouverture du mariage aux homosexuels aujourd’hui, forment un seul et grand débat qui n’est d’ailleurs pas clos.
Pour expliquer ma pensée, je crois utile de souligner d’abord quelques traits de la méthode par laquelle le gouvernement Ayrault a fait voter sa loi.
L’ETONNANTE PRECIPITATION DU GOUVERNEMENT
Comme vous me le dites, la majorité de l’Assemblée n’a guère été appelée à réfléchir ; elle s’est laissé emporter par les envolées lyriques de la Garde des Sceaux. Le député rapporteur a rivalisé avec la ministre dans l’élan oratoire : « Il est venu, le temps de l’égalité ! » s’est-il écrié dans une formule qui résumait leur plaidoyer commun. En réalité, il est venu le temps où le mariage et la filiation sont redéfinis en fonction de l’homosexualité. Il en résulte un bouleversement de ces institutions multiséculaires. Voici un exemple : jusqu’à présent l’homme et la femme apportaient à l’enfant ce qu’il pouvait recevoir de plus précieux de l’un et de l’autre : la mère lui donnait la vie et le père son nom. Le don du nom était le signe de devoirs propres à l’homme. Il empêchait une exclusivité maternelle dont la science montre l’insuffisance pour la formation de la personnalité. Avec la loi Taubira, l’enfant se verra attribuer les deux noms par ordre alphabétique, sauf si les parents demandent expressément et par déclaration conjointe qu’il en soit autrement. Le nouveau système a été fait pour convenir aux « couples » homosexuels mais il brouille un repère simple et clair de filiation masculine pour tous les autres. Les relations de père à enfant, que l’on sait fragiles dans notre société, en seront davantage affaiblies.
Si encore ce bouleversement était nécessaire pour satisfaire une part significative du peuple français ! Mais il n’en est rien. L’Espagne, qui nous a précédé dans la légalisation du « mariage homo », nous offre des statistiques instructives : passé un effet de mode qui a fait monter de tels mariages jusqu’à 2% du total, leur proportion est retombé à 0,1%. Il en va de même au Canada. Vous avez raison de vous demander pourquoi le parti au pouvoir s’acharne à remodeler l’institution familiale au profit d’une infime minorité dont le genre de vie est et restera réfractaire à la conjugalité.
Votre perplexité a été accrue par la précipitation du gouvernement dans cette affaire. Des dossiers graves et urgents réclamaient l’attention de l’Assemblée : l’équilibre du budget par exemple ou la montée du chômage. Aucune enquête d’opinion, aucun mouvement de rue n’appelaient les députés à voter, toutes autres affaires cessantes, l’ouverture du mariage aux homosexuels. Au contraire, l’imminence du débat a provoqué d’imposantes manifestations d’hostilité. Et, selon tous les sondages, ni François Hollande ni Jean-Marc Ayrault ni Christiane Taubira ni aucun responsable de la loi n’ont été récompensés de leurs efforts par la moindre poussée de popularité. Alors, quelle raison à cette hâte ?
Il faut expliquer pourquoi tant de risques ont été pris pour si peu de bénéfices visibles. Vos collègues du Palais Bourbon, qui ont simplement cédé à l’exaltation du discours ministériel, ne se posent apparemment pas la question. Essayons de réfléchir plus qu’eux.
UNE IDEOLOGIE QUI VEUT DOMINER LA VIE DES COUPLES
Je pense que le but réel de la loi Taubira n’est pas l’émancipation des homosexuels mais l’accomplissement d’une idéologie. C’est vers cet accomplissement que convergent toutes nos lois « sociétales » depuis un demi-siècle. Pour le comprendre, il nous faut revenir à leur mère commune, la loi Neuwirth (1967).
A l’époque, les progrès rapides de la biologie ont conduit à un mode simple et efficace de contraception chimique. Le succès de la « pilule » fut immédiat : elle apparut à la quasi-totalité des couples comme l’instrument décisif qui leur permettrait de maîtriser leur fécondité. En elle-même leur aspiration était légitime. Le législateur ne pouvait y rester insensible. La loi Neuwirth est née de là. Mais la pilule et le stérilet ont apporté aussi avec eux un autre effet, sous-estimé jusqu’à aujourd’hui. En refoulant ou en contrariant les lois naturelles propres au corps, ils ont accrédité la croyance que ce dernier n’est qu’un outil à la disposition de l’esprit de chaque individu. Et les esprits, n’éprouvant plus les contraintes des corps, ont aspiré à une autonomie sans limite. La contraception chimique et mécanique, telle que les techniques l’ont façonné il y a un demi-siècle, a donc eu de grandes conséquences morales : c’est d’elle que vient la fragilité des couples contemporains, qui ne connaissent plus la solidarité croisée des corps et des esprits ; d’elle encore, l’indifférence aux lois du corps, qui se manifeste par exemple dans l’égalité exigée entre hétéro et homosexualité ; d’elle toujours, le refus de son propre corps, réclamé par ceux qui veulent changer de sexe et, sous une forme différente, par les partisans de l’euthanasie ; d’elle enfin, cette aspiration à être soi contre la vie de son corps, dont témoigne le droit à l’avortement. L’euthanasie, l’avortement, l’homosexualité ont toujours existé. Mais c’est seulement dans le sillage de la contraception chimique qu’ils ont réclamé une reconnaissance positive.
Cette croyance est restée floue pendant longtemps. Mais l’utilisation massive de la contraception a diffusé son influence dans toute la société. A cause d’elle, les hommes politiques du dernier demi-siècle ont fait des lois dont ils n’ont pas compris, sur le moment, la vraie nature ni les véritables conséquences. Le gouvernement Pompidou pensait sincèrement, en 1967, que la pilule allait conduire à des « couples plus harmonieux » et des « familles plus heureuses ». Ses successeurs ont été interloqués par les statistiques qui ont enregistré la montée fulgurante des divorces et la multiplication des familles monoparentales. Simone Veil a été, à son tour, décontenancée par le flot qui a emporté les barrières fragiles qu’elle avait posées à l’interruption volontaire de grossesse. Lionel Jospin est encore ulcéré de constater qu’au rebours de ses prévisions, le Pacs, loin d’éteindre les demandes de mariage homosexuel, les a attisées. La croyance qui se cachait derrière la « libération sexuelle » a créé sa propre dynamique. Elle a débordé les calculs erronés et les promesses inconsidérées des gouvernants qui la sous-estimaient.
Nous n’avons plus l’excuse des hommes politiques du passé parce que l’expérience accumulée depuis cinquante-cinq ans parle suffisamment fort. Nous pouvons mesurer les conséquences des lois « sociétales » d’hier et donc deviner où nous conduisent celles d’aujourd’hui. Il n’est pas difficile de prévoir, par exemple, que la légalisation du mariage homosexuel annonce logiquement celles de la procréation médicalement assistée et de la gestation pour autrui. Les dénégations ministérielles ne peuvent plus être imputées à l’aveuglement. Elles relèvent du mensonge. Puis-je le prouver? Bien sûr. Si, pour faire passer sa loi, le gouvernement a pris tous les risques que nous avons relevés tout à l’heure, ce ne peut être que pour servir un impératif si fort qu’il lui a fait négliger les contingences. Et cet impératif est la croyance que je viens d’évoquer. Désormais elle se présente sans voiles. Elle domine même les idées de notre époque au point d’être devenue l’égale d’une foi religieuse. Elle proclame que l’humanité est proche d’une libération d’immense portée. Autrement dit, elle s’est transformée en idéologie. Le rapporteur de la loi Taubira, qui est un de ses fidèles, a expliqué son but quand il a affirmé que le jour venait où l’on pourrait « en finir avec la filiation biologique pour en venir à la filiation volontaire ». La gestation pour autrui sera un mode banal de procréation. Le corps sera enfin devenu un simple outil, reconnu comme tel par la loi : il pourra être vendu et acheté selon sa valeur marchande. Ce gouvernement sait où il va, contrairement aux précédents. Ses perspectives dépassent de loin son souci des homosexuels. Cherche-t-il d’ailleurs à savoir qui ils sont et ce dont ils ont vraiment besoin ? Il s’en fait une idée qui l’arrange. Il pousse en avant le maigre peloton de l’association LGBT (un peu plus de mille adhérents) dans la bataille pour la « libération sexuelle ». Il ne s’intéresse pas à la réalité des « gays » et des lesbiennes, celle de personnes qui traînent douloureusement une blessure inguérissable.
Voyez comme le mariage est loin des préoccupations de nos dirigeants. Vous les avez entendus, dans leurs envolées oratoires, proclamer que la loi Taubira allait le « redynamiser » et lui « donner une nouvelle richesse ». Mais ils se gardent d’y conformer leurs vies privées. Le Président de la République, la plupart de ses ministres et la majorité des députés socialistes n’envisagent pas plus qu’avant, de se marier avec leurs concubines. La cohérence de leurs comportements personnels avec leur politique existe mais elle est à chercher bien au-delà.
SES CONSEQUENCES SOCIALES ET POLITIQUES
Traduit en projet politique, l’idéologie en question devient une lutte pour libérer le peuple français de conditionnements qui lui ont été imposés par la bourgeoisie ou le judéo-christianisme ou la tyrannie patriarcale ou les trois au nom de lois prétendument inscrites dans les corps. La gauche en fait sa nouvelle cause : elle est aujourd’hui presque unanime à estimer que la différence sexuelle est une fausse donnée, la distinction entre géniteurs et parents un progrès nécessaire, la libre disposition de son corps un droit fondamental jusque dans l’avortement et l’euthanasie ; elle s’enthousiasme pour le grand combat émancipateur que l’histoire lui confie. Il remplace la lutte des classes, qu’elle a dû abandonner après l’échec des projets marxistes.
Prenons garde, cher collègue, de sous-estimer les conséquences sociales et politiques de cette croyance devenue idéologie. J’en résume le danger en indiquant qu’elle attaque et affaiblit la solidarité dans notre société. La solidarité entre corps et esprits est la première atteinte. Les esprits, à leur tour, sont poussés à considérer comme primordiale une recherche de soi strictement individuelle et immédiate. La solidarité avec les autres leur paraît secondaire et confuse. C’est de cette source que coulent les comportements caractéristiques de notre époque : la préférence donnée à la consommation privée sur les investissements collectifs ; le fatalisme résigné face à d’insolentes inégalités de revenus ; le désintérêt pour la connaissance de l’histoire et la peur de l’avenir. Le citoyen que l’idéologie façonne peu à peu vit par lui et pour lui dans le présent. Pour le reste, il s’en remet à la tutelle de l’Etat.
C’est pourquoi l’Etat est obligé de courir à l’aide de toutes les victimes d’une solidarité sociale en régression. Des millions de familles monoparentales – c’est à dire des mères abandonnées avec leurs enfants jeunes - seraient dans une misère irrémédiable sans les allocations massives que les gouvernements leur prodiguent depuis trente ans. Des bataillons d’éducateurs, psychologues, psychothérapeutes, animateurs, juges pour enfants sont mobilisés pour socialiser les adolescents violents, drogués, délinquants, instables ou simplement en marge de la société, qui ont pour seul point commun d’avoir fui des familles artificielles ou éclatées. Il faudrait y ajouter les vieillards laissés à leur solitude pour lesquels il a fallu inventer l’APA et d’autres catégories encore. Cette action sociale coûte cher, si cher que le gouvernement actuel est devenu incapable d’augmenter ses dépenses au rythme des besoins. Il est obligé de faire des choix. Observez lesquels : il cherche à réduire les allocations attribuées aux familles mais il décide que les avortements seront désormais gratuits. Il révèle ainsi le projet politique qui l’anime. Soyez certain que la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui seront demain remboursées par la sécurité sociale. Il sera intéressant de savoir quelle dépense sera rognée en contrepartie.
A LA POUBELLE DE L’HISTOIRE ?
Le ministre de l’Education nationale a voué les opposants à la loi Taubira à la poubelle dans laquelle l’Histoire jette ceux qui s’opposent à la marche du progrès. Est-il conscient d’avoir repris une prédiction que les marxistes d’antan appliquaient à leurs adversaires ? Leur erreur aurait dû le rendre plus prudent. Plusieurs indices laissent penser que l’Histoire pourrait désavouer la prophétie ministérielle. Le projet politique qu’il partage avec François Hollande est de moins en moins accepté à mesure qu’il se réalise. Certes la contraception chimique a séduit l’écrasante majorité des couples. Mais c’est parce que son joug était le passage obligé vers un libre contrôle de leur fécondité. Quarante ans plus tard, le Pacs, présenté comme un grand pas vers la libération sexuelle, unit péniblement 3% de la génération des jeunes de 18 à 40 ans. La loi Taubira, qui se veut une étape majeure sur la même voie, dresse contre elle une hostilité massive. La dynamique qui conduit à la séparation totale entre corps et esprits, se heurte à une résistance de plus en plus forte.
Et puis cette idéologie et le projet politique qui l’accompagne reposent sur un socle fragile : la pilule, invention technique vieille d’un demi-siècle. Si demain, une autre invention technique, qui offrira aux couples une maîtrise efficace de leur fécondité sans enfreindre la loi naturelle des corps, devient disponible, le charme sera rompu. La séparation absolue de corps et de l’esprit apparaîtra comme une violence inadmissible faite à l’intégrité de la personne. C’est le projet soutenu par M. Peillon qui risque de finir dans la poubelle de l’Histoire.
Non, cher collègue, le débat commencé il y a plus d’un demi-siècle n’est pas clos. Vous et moi avons défendu la plénitude de l’homme et la dignité de l’Etat. Notre cause est la bonne. Elle l’emportera.
Michel Pinton, le 6 mars 2013