Voyage dans l'univers de la PMA
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- Publication : mardi 8 octobre 2019 19:39
Voyage dans l'univers de la PMA
Le récit qui suit est écrit à la manière des contes philosophiques du siècle des Lumières à ce détail près que ses personnages sont tous réels et vivent aujourd’hui.
Ma famille est constituée de deux mères (que j’appelle toutes deux « maman » en y ajoutant leurs prénoms respectifs pour les distinguer l’une de l’autre) et d’une soeur de deux ans plus jeune que moi.
L’une de nos mères est universitaire, l’autre avocate. Elles nous ont élevés dans les principes de confiance dans la raison humaine, de tolérance et de croyance au progrès de l’humanité. Elles ne nous ont jamais parlé de spiritualité, sauf pour exprimer leur méfiance à l’égard des croyances irrationnelles dont les fruits inévitables, disaient-elles, sont l’obscurantisme et le fanatisme.
Elles n’ont caché, ni à ma soeur ni à moi, que nous avions été conçus à l’aide de « petites graines » données par un inconnu. Elles nous en parlaient comme d’une anecdote amusante à laquelle elles
n’attachaient aucune importance. L’essentiel, disaient-elles, est notre vie de famille, la bonne entente de nos parents, l’affection qui nous lie les uns aux autres. A partir de l’âge de 13 ans, cependant, j’ai commencé d’être troublé par des questions vagues mais insistantes. Je voyais bien que mes camarades de classe avaient tous un père et une mère. Je me demandais ce que la présence d’un homme apportait aux autres foyers. Je ne pouvais m’empêcher de penser à ce « donneur » mystérieux à qui je devais en partie d’être ce que je suis (mes deux mères, toujours sensibles aux découvertes de la science, m’avaient expliqué ce qu’est un ADN) mais auquel mes parents refusaient le nom de père. Elles me rappelaient en souriant qu’elles ne l’avaient jamais rencontré, ne lui avaient jamais parlé et ne l’avaient pas associé à leur projet parental. Mon trouble ne fut pas apaisé par leurs assurances trop rationnelles. Plus elles disaient qu’il fallait chasser de mon imagination des préoccupations sans intérêt, plus des questions sans réponse me harcelaient. Mes deux mères le reconnurent volontiers. Quand j’eus 15 ans, elles décidèrent qu’il était temps d’appliquer à ce sujet le principe de transparence qui leur était cher. Elles me remirent un gros dossier qu’elles avaient remisé depuis longtemps au fond d’une armoire et me dirent qu’il contenait tout ce qui pouvait m’intéresser sur mon origine. Quand je l’aurais lu, je cesserai de me poser des questions superflues. J’ouvris ce dossier poussiéreux et je me mis à feuilleter les pages qu’il contenait. Les premiers documents évoquaient des examens médicaux, des produits à avaler, des seringues à jeter, des tubes à retourner au laboratoire, des rendez-vous avec un spécialiste de la fécondation. Rien qui fût susceptible de retenir mon attention. Puis venaient des courriers, signés de « directeurs », qui décrivaient des « profils de donneurs » identifiés par de simples numéros : chaque fiche garantissait la bonne santé du mâle présenté, précisait sa taille, la couleur de ses yeux et d’autre détails. Certaines fiches allaient jusqu’à indiquer qu’aucun antécédent de maladie héréditaire n’avait été repéré chez ses parents et grands parents.
Une lettre m’amusa : elle vantait le sperme d’un individu qui avait prouvé sa qualité en fécondant plusieurs femmes qui, toutes, avaient donné naissance à des bébés particulièrement sains et vigoureux.
Finalement je tombais sur le dossier de mon géniteur. Son profil ne différait guère des autres, me sembla-til, sauf sur un point : son quotient intellectuel était le plus élevé de tous, signe auquel je reconnus les penchants de mes deux mères. Je m’apprêtais à refermer le dossier qui, en effet ne contenait rien qui m’intéressât vraiment, lorsque je tombais en arrêt devant le dernier document. C’était un questionnaire que le donneur sélectionné par mes mères, avait dû remplir. Son texte n’avait rien d’original. Il répondait aux thèmes habituels. Il n’était évidemment pas signé pour préserver l’anonymat de l’individu. Mais il avait été en partie écrit à la main. Les cases qui avaient été cochées d’une simple croix à l’encre noire me frappèrent. Comment puis-je expliquer la fascination qu’elles exercèrent sur moi ?
Jusque là mon géniteur avait été pour moi une abstraction, quelque chose de lointain et insaisissable et voici que soudain, dissimulé derrière un fatras de pièces administratives, il apparaissait comme un être vivant, capable de laisser une trace, si ténue fût-elle, sur une feuille de papier. Mon existence n’avait donc pas pour fondation un mécanisme médical et bureaucratique mais une libre décision humaine.
Il m’est impossible de décrire à quel point je fus bouleversé. Je pris le questionnaire, le rangeai dans mon portefeuille et, pendant des mois, le consultai jour après jour. Je crus que je mettrais un terme à l’agitation qui m’envahissait à chaque fois en demandant à l’administration qui se cachait sous le numéro indiqué. Une réponse brève et impersonnelle rejeta ma requête: étant mineur, je n’avais pas le droit de connaître le donneur en question. Je restais seul avec mon incompréhensible émotion. Je me demandais parfois si l’inconnu dont je portais les gènes dans mon corps n’était pas un des passants que je croisais dans la rue. Ma scolarité en fut perturbée. Impossible d’en parler avec l’une ou l’autre de mes mères. Celle qui ne m’avait pas engendré, ne prenait pas mes questions au sérieux.
L’autre, celle dont j’étais le fils biologique, m’écoutait puis essayait de m’apaiser en me chantant la berceuse habituelle : je ne devais pas laisser mon imagination vagabonder n’importe où, je m’accrochais à des détails dépassés, j’avais vécu dans une famille unie et c’était l’essentiel, et ainsi de suite. Personne ne semblait comprendre mon douloureux malaise d’identité. J’avais le sentiment qu’une part de moi-même m’échappait. Elle se manifestait en me torturant.
Vers mes seize ans, une autre interrogation envahit brusquement mon esprit. Comme je l’ai dit, un document indiquait que le sperme d’un donneur avait été utilisé pour féconder plusieurs femmes. Je n’y avais pas prêté attention. Mais, ce jour là, pensant à mon géniteur, je me dis que sa semence avait peutêtre été recueillie par d’autres familles semblables à la mienne. Ce qui signifiait que j’avais des demi-frères et des demi-soeurs. Mais où ? et combien ? Il n’était pas impossible qu’ils se comptassent en dizaines voire en centaines d’individus. La presse en citait des exemples.Mes mères fréquentaient d’autres couples de femmes, rencontrées notamment au sein d’une association de défense des droits des LGBT.
Je me trouvais donc, depuis mon enfance, en contact avec des jeunes nés, comme moi, d’une PMA. Nous avions eu jusque là des relations simples, comme tous les enfants de familles amies. Du jour au lendemain, un étrange malaise me saisit. Je me demandais si ces garçons avec lesquels je m’amusais n’étaient pas mes frères et, plus pesant encore, si ces filles avec lesquelles je flirtais, n’étaient pas mes soeurs. Impossible d’avoir une certitude de quelque source que ce fût. Les pouvoirs publics, qui savaient la vérité, étaient fermés à toutes requêtes de mineurs. Mes deux mères, à qui je confiais mes interrogations, semblèrent tomber des nues. Elles n’y avaient jamais pensé. Elles tentèrent mollement de me rassurer en parlant de probabilités très faibles. Mais je sentis qu’elles cherchaient surtout à masquer leur embarras.
Alors commença pour moi une période déchirante. J’enviais furieusement la gaieté et l’insouciance de ceux de mes amis qui savaient de façon sûre qui étaient leur père, leurs frères et leurs soeurs et qui ne l’était pas. Tant de confiance en soi m’était interdit. Je fus pris de brusques bouffées de haine contre la société, qui était si étrangère à ma souffrance, contre mon géniteur, qui m’avait placé dans une situation insupportable, contre les pouvoirs publics, qui, au lieu de protéger la victime que j’étais, lui opposaient une muraille d’indifférence, et même contre mes mères, dont l’amour affiché me semblait par éclairs couvrir un égoïsme monstrueux. Je devais me raidir pour ne pas fuir à jamais cet univers qui m’écrasait. La tentation du suicide m’atteignit plusieurs fois.
Enfin, j’eus 18 ans. Le coeur battant, j’écrivis à nouveau à l’agence publique qui archivait les noms des donneurs de sperme. L’administration prit son temps. Il me fallut dominer mon impatience pendant trois interminables mois avant de recevoir une réponse. Elle m’indiquait que le donneur dont j’avais précisé le numéro, avait autorisé que son identité fût révélé. Elle m’était donc transmise. Suivaient un nom, un prénom et une adresse. Signé : le directeur des relations extérieures. Bien entendu, l’adresse, vieille d’une vingtaine d’années, était périmée. Il me fallut déployer de nouveaux efforts pour suivre la trace de mon géniteur. Enfin, je parvins à le localiser. Je lui écrivis une lettre que je recommençais quatorze fois pour lui indiquer mon existence et mon désir de le connaître. A nouveau, trois mois d’attente. Je reçus enfin une réponse brève et sans chaleur, qui me présentait des voeux de belle et bonne vie mais ne reprenait pas mon offre. Je compris que mon interlocuteur, surpris que son don de jadis ait une conséquence à laquelle il n’avait jamais pensé, souhaitait ne pas être importuné. Je lui ai écrit à nouveau à chaque début d’année, sous prétexte de lui présenter mes voeux. J’ai reçu chaque fois la même réponse courtoise et froide. Poussé par un besoin instinctif que je ne cherchais pas à refouler, j’eus alors une autre idée. J’avais adhéré à une association d’enfants nés de la PMA. Elle avait créé un site internet sur lequel les échanges étaient nombreux. Je lançais un jour un appel à tous ceux qui étaient nés du donneur dont j’indiquais le numéro d’identification et le nom. Trois correspondants, un homme et deux femmes, répondirent. Je venais de me trouver un demi-frère et deux demi-soeurs. Je leur proposais de les rencontrer. Tous acceptèrent. Très vite, je compris que nos conversations n’avaient qu’un but pour moi comme pour eux : retrouver des traces du grand absent dont nous partagions le patrimoine génétique. Je tâchais de discerner ce que nous avions en commun dans les traits du visage, la démarche, les goûts, les tics d’expression. J’ai même pris des séries de photos et il m’arrive de les examiner pour m’assurer que je n’ai négligé aucune de nos similarités. Contrairement à mon espoir, la découverte de ces trois demi-frère et soeurs n’a pas apaisé mes angoisses. Rien ne prouve, en effet, que n’existent pas, cachés dans l’anonymat des foules, des dizaines d’autres individus issus du même donneur. Seule la banque de sperme le sait mais elle enfouit ses dossiers dans un silence impénétrable. La première question qui me vient spontanément à l’esprit quand je pose mon regard sur un inconnu, est toujours : ne serait-il pas aussi un demi-frère ou une demi-soeur ?
Je relève toutes les similarités qui me semblent confirmer cette hypothèse. Je crains d’en être devenu obsédé. Il n’y a pas longtemps, une jeune femme est venue s’asseoir face à moi dans le métro. Perdu dans mes pensées, je commençai par lui jeter un coup d’oeil indifférent. Soudain, il me sembla reconnaître un geste qui m’appartenait. Je l’examinais plus attentivement en essayant de ne pas faire remarquer mon trouble. Le pli de la bouche, la forme du front et des yeux, la finesse des mains, la façon de fixer le regard droit devant soi, étaient ceux que je partageais avec mes correspondants du site internet. Avant que j’eusse cédé à mon envie irrésistible de lui demander qui était son père, elle descendit de la voiture, me laissant seul avec mon agitation intérieure.
Je viens d’entrer dans ma vingt-et-unième année. Le temps n’a apporté aucun apaisement à mes angoisses mais j’ai appris, sinon à les refouler, du moins à les maîtriser tant bien que mal. Je visite régulièrement un psychiatre qui m’aide à cette fin. Je ne vis plus au foyer familial. Mes relations avec mes deux mères se sont beaucoup distendues. Elles me manifestent toujours la même affection mais je suis incapable d’y répondre comme par le passé. Je sens un invincible malaise m’envahir chaque fois que je les vois.
Ma soeur s’est heurté aux mêmes interrogations que moi dès ses onze ans. Nos mères y on répondu de façon analogue. Nous savions depuis longtemps qu’elleétait née de la conjointe de ma mère biologique. Le dossier concernant sa PMA, quand il lui a été remis, nous a appris que son donneur était identifié par un numéro différent du mien. Par précaution, nous avons fait comparer nos ADN. Ils n’ont rien de commun. Nous sommes dans cette situation étrange que nous sommes frère et soeur en ce sens que nous avons grandi dans le même foyer mais nous n’avons aucune parenté génétique. Avec l’adolescence, nos relations ont pris un tour ambigu dont nous ne savons pas comment nous débarrasser.
Quand elle a eu dix huit ans, ma soeur a fait la même requête que moi un peu plus tôt, afin de connaître le nom de son géniteur. La réponse a été différente : le donneur ayant exprimé la volonté de rester anonyme, l’administration ne pouvait révéler son identité. Signé : le directeur des relations extérieures. Pas de regret ni d ‘encouragement. Ma soeur en a été bouleversée. Une question la hante : l’hérédité qu’elle a reçue du côté masculin, est-elle bonne ?
Les formulaires de la banque de sperme sont muets sur ce point. Mes mères, dans leur hâte d’avoir un deuxième enfant, ont à l’époque négligé de pousser leur information jusqu’à une enquête sérieuse. Ma soeur laisse galoper son imagination vers des pensées sinistres. Un jour, elle se croit menacée d’un cancer précoce dont son donneur est déjà mort à la suite de son père. Un autre, elle est terrifiée à l’idée d’avoir des enfants, auxquels elle transmettrait sans le savoir, une tare héréditaire cachée dans ses gènes. Ma soeur est une personne intransigeante. Elle a fui le foyer familial peu après que l’administration ait envoyé la lettre de refus dont j’ai parlé. Du jour au lendemain, elle a cessé toute relation, orale et écrite, avec nos deux mères. Je suis allé la visiter dans la mansarde qu’elle habite. J’ai essayé de la convaincre, sinon de revenir, du moins d’accepter l’aide financière que nos mères, peinées et inquiètes, lui offraient. Elle m’a immédiatement interrompu. Le visage décomposé par la colère, elle s’est lancée dans une diatribe violente : « Je ne veux plus entendre parler de ces deux gouïnes ! De quel droit m’ont-elles privée de père ? Rien que penser à elles me donne envie de vomir. » Je n’ai pas insisté. La rupture me paraît avoir des causes trop profondes pour être remédiable.
J’ajoute à mon récit une remarque que je crois nécessaire. A mesure que les enfants nés d’une PMA grandissent et deviennent des adultes, ils semblent de plus en plus sombres et préoccupés. En regardant les photos de mes demi frère et soeurs, je suis frappé de constater qu’aucun ne sourit devant l’objectif. On dirait que nous portons tous un invisible fardeau qui nous accable. Selon moi, ce poids, c’est la main d’un spectre sur nos épaules : le père qui nous a été refusé.
Michel Pinton
Administrateur de Famille et Liberté
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