La magie des écrans : ombres et lumières
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- Publication : jeudi 24 avril 2014 10:19
Le sujet est d’importance si l’on en juge par les « rapports » publiés ces derniers mois par les autorités morales aussi bien que politiques de notre pays : le Défenseur des droits a pris pour thème de son rapport annuel 2012 consacré aux droits de l’enfant « Enfants et écrans : grandir dans le monde numérique ». Tandis que l’Académie de Médecine donnait un « Avis », début 2013, assorti de quelque 26 recommandations sur L’Enfant et les écrans. De son côté, fin 2013, le ministre de la Jeunesse Valérie Fourneyron lançait une étude « sur les conduites addictives aux medias numériques de l’enfant et de l’adolescent ».
Côté lumière, il n’est pas besoin de s’y appesantir tant sont universellement reconnus les bienfaits du numérique décrits par exemple par le Défenseur des droits comme ayant des « effets positifs pour la socialisation, le développement des compétences, l’accès à des ressources culturelles, en bref, comme ouverture sur le monde [amené à jouer] un rôle clé dans l’éducation ». L’Académie de médecine appuie de son côté sur l’amélioration grâce au numérique « des connaissances et des savoir-faire » et à sa contribution « à la formation de la pensée et à l’insertion sociale des enfants et des adolescents ».
Une fois posées ces pétitions de principe, l’un comme l’autre recommandent longuement (156 et 272 pages) une utilisation prudente et raisonnée de ces instruments fabuleux.
Car, côté ombres, Le Défenseur des droits souligne la vulnérabilité du public, très jeune ou moins jeune, qui est devenu le consommateur heureux ( ?) mais surtout « la cible privilégiée des fabricants de matériels, des éditeurs de contenus et des publicitaires » car dès moins de trois ans « ils sont des consommateurs en puissance ».
L’Académie de médecine attire l’attention sur le fait qu’une « utilisation trop précoce ou une sur-utilisation des écrans a des conséquences délétères durables sur la santé, l'équilibre et les activités futures -intellectuelle, culturelle et professionnelle- ; un continuum existe entre les troubles de la concentration, la baisse des résultats scolaires, le manque de sommeil et l'élimination des autres formes de culture, et la « pathologie des écrans », qui provoque d'éventuels comportements dangereux.[1] »
Beaucoup d’autres études viennent confirmer ces mises en garde et rappeler que toute la vie sociale, personnelle et intellectuelle ne doit pas passer uniquement par l’ outil, qui reste un outil, du numérique.
Fini le temps où les jeunes filles tenaient leur journal intime.
A travers ce journal, elles répondaient peu à peu, en toute sincérité parce que seulement pour elles-mêmes, à la question suivante : « Qui suis-je ? Qu’est-ce que j’aime et qu’est-ce que je n’aime pas ? Qu’est-ce qui me rend heureuse et qu’est-ce qui me rend malheureuse ? Qu’est-ce que je veux vraiment faire de ma vie ? »
Aujourd’hui comme le dit le médecin et psychologue américain Leonard Sax, « une jeune fille n’a pas de temps à sacrifier à quelque chose que personne ne verra jamais. Elle met à jour son statut facebook pour ses 1362 amis »[2]. Et là, elle se rêve, telle qu’elle pense qu’on « l’aimera » et non pas telle qu’elle est ou telle qu’elle veut être au fond d’elle-même. C’est-à-dire, si possible, identique –en mieux bien sûr- à toutes les autres. Le but est de plaire et d’amuser. Les photos ont remplacé les textes et l’image, la pensée. On n’est pas sur facebook pour être sincère mais pour soigner son image, pour être cool et se mettre en scène, paraître plutôt qu’être.
Mais attention, votre image facebook sert ou servira aussi à votre futur employeur pour soupeser vos mérites car une fois sur le cloud les infos se répandent sans fin et sans limite de lieu et de temps. Ce qui plait aux « 1362 amis » ne correspond pas forcément aux critères d’embauche. C’est pourquoi l’une des recommandations du Défenseur des droits est « le droit à l’oubli numérique » qui permettrait à tout un chacun d’obtenir la suppression de données personnelles en ligne. Nous en sommes encore loin, regrette-t-il. D’ici-là, la prudence s’impose.
Pour les garçons, c’est un peu différent ; si les filles sont souvent en représentation sur Facebook, les garçons, eux, profitent du spectacle. En revanche, d’après de nombreuses études, moins engagés sur les réseaux sociaux, ils seraient plus accrocs aux jeux vidéo qui satisfont plus à leur volonté de puissance et à leur besoin de mouvement- au moins virtuel. Mais dans ce monde irréel où la violence est bien souvent la règle (on doit tirer et tuer pour gagner. Cf les jeux à grand succès comme Halo ou Grand Theft Auto ) on n’a pas besoin d’assumer la conséquence de ses actes. Tuer et violer est d’abord un impératif, et ensuite, sans réelle conséquence…
Pour Elisabeth Rossé, psychologue au centre médical Marmottan à Paris où elle prend en charge des cyberaddicts, les jeux video, ce n’est pas mauvais en soi, « le véritable danger, c’est l’isolement, la perte de contact avec les gens IRL (In Real Life) [et] l’identification à son avatar [leur double à l’écran]qu'ils créent à l'image de ce qu'ils voudraient être et qui ne progresse pas tant en fonction de l’habileté qu’en fonction du temps passé à jouer » [3].
Autant d’écueils qui justifient des préconisations de prudence de la part du Défenseur des droits : en une longue liste non exhaustive : Développer une politique de recherche pluridisciplinaire et indépendante concernant les usages, les effets et les conséquences de la généralisation du numérique pour les enfants ; inciter au niveau international les acteurs privés (pourquoi pas publics ?) du numérique à l’autorégulation pour renforcer la protection des enfants ; protéger les enfants des publicités insérées dans les jeux video ; formation des principaux acteurs intervenant auprès des enfants : professeurs, éducateurs, animateurs) ; etc.
En bref, ne pas oublier qu’avant de se connecter au monde entier, il faudrait déjà pouvoir se connecter à soi-même. Et que si les jeux video améliorent les réflexes, la réflexion et les réflexes sont deux choses totalement différentes. N’est-ce pas même là ce qui fait la différence entre l’homme et l’animal ?
Claire de Gatellier