La loi peut-elle aller contre la nature de l’homme ?
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- Publication : lundi 3 octobre 2022 09:52
Les lois, notamment celles dites « sociétales », se succèdent et s’empilent à une vitesse accélérée. Sociétales, cela signifie qu’elles concernent la vie en société, la juste place des uns par rapport aux autres, l’articulation des droits et devoirs des uns et des autres ; jusqu’où va ma liberté pour ne pas empiéter sur celle du voisin ? Au fond, l’essentiel de notre vie commune.
Prises au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, cette nouvelle Trinité, elles ont pour but déclaré de satisfaire les désirs de chacun, pour règle d’accorder tout à tous et pour toise, l’amour universel.
Alors ! Ainsi comblés dans nos moindres désirs, libres de nous conduire à notre guise en étant assuré de la bienveillance universelle sous peine de sanctions pour l’imprudent contrevenant, nous sommes à coup sûr en marche vers le bonheur absolu. Si nous n’avons pas encore conscience de l’avoir pleinement atteint, c’est sûrement qu’il manque encore quelques petites lois qui ne sauraient tarder. La GPA, l’euthanasie, et d’autres plus étonnantes encore.
Tout est permis, mais un Français sur quatre est sous psychotropes
Il est bien entendu, comme on le répète à l’envie, que chaque droit nouveau accordé pour la félicité de chacun « n’enlève rien à personne ». Le droit à l’avortement ne prive de vie qu’un « amas de cellules », le divorce n’est qu’une rupture de contrat par consentement mutuel, (le consentement des enfants aussi ?), Le mariage pour tous », loin de dénaturer le mariage, l’enrichit, dans la PMA pour toutes, qu’est-ce que la privation d’un père, ce reliquat d’un temps patriarcal révolu ? la GPA « éthique » non seulement accorde enfin à un couple l’enfant de ses rêves mais elle enrichit des femmes qui, en plus, seront dorlotées pendant 9 mois. Tout cela au nom de « l’amour. Que demander de plus ?
Et pourtant…et pourtant… Un Français sur quatre est sous psychotropes et la consommation d’antidépresseurs en France est la plus élevée du monde. Les enfants se suicident[1], les personnes âgées meurent d’isolement, les « phobies » de toutes sorte se développent tandis qu’il suffit d’une panique sanitaire pour étouffer les désordres de rue.
Alors, on est en droit de se demander ce qu’il se passe. Le règne du désir est-il le garant du bonheur ? Ne dirait-on pas que l’insatisfaction, le manque, grandissent à mesure que les limites à nos désirs sont repoussées ?
Ne faut-il pas s’étonner que plus « tout est permis » dans certains domaines, à l’inverse, plus nous sommes contrôlés, codés, surveillés, vaccinés, conseillés, encadrés, rappelés à l’ordre.
Quel est alors le rôle de la loi ? Rendre possible l’accomplissement immédiat de nos désirs ou bien faire notre bonheur malgré nous ? Cette loi, prétendument expression de la volonté générale « pour notre bien », quelle est son fondement ?
Le juste est ce qui est ajusté. Mais ajusté à quoi ?
Si la loi n’est que l’expression de la volonté générale, elle est par définition changeante au gré des majorités et de l’évolution des populations. Ce qui est juste aujourd’hui ne l’était donc pas hier et ne le sera pas demain. Ceci est exact pour tout ce qui est accessoire et changeant et de l’ordre du contrat. C’est pourquoi les « grands juges »[2] rapportent-ils leurs décisions à des grands principes, les « valeurs républicaines », « valeurs européennes » ou même Onusiennes. Et celles-ci se résument toujours à des droits que l’on voudrait illimités mais qui finissent malheureusement par entrer en compétition les uns avec les autres.
Si la loi dit le juste, qu’est-ce que le juste si ce n’est ce qui ajusté. Comme la clé est ajustée à la serrure, à quoi doit être ajustée la loi ? Y a-t-il un modèle, un ordre, une harmonie comme disaient les Grecs, à quoi la loi doit être ajustée ? Un ordre naturel enfin auquel toutes les lois devraient se conformer ?
Inconvénient : cela relativise la marge de manœuvre et le pouvoir de « la volonté générale » qui doit dès lors se soumettre à des lois supérieures qu’elle n’a pas décidé elle-même. Il ne faut pas croire que cela ne contrevient qu’à la volonté démiurgique de l’homme contemporain car ces questions se posaient déjà pour Antigone, 400 ans avant notre ère.
Avantage : s’ajuster à un ordre supérieur et intemporel assure continuité et distanciation par rapport aux contingences de l’éphémère quotidien.
Un problème de taille se pose alors : la référence à un ordre naturel s’entend comme une sorte de mode d’emploi de la nature humaine et de la société des hommes. Il est difficile, pour une société individualiste comme la nôtre, d’accepter d’une part la notion même de nature humaine qui sous-entend que nous sommes tous régis par les mêmes lois, et plus encore par l’idée de mode d’emploi dont le côté contraignant est révoltant pour les petits dieux que nous sommes chacun. Et pourtant, si je branche les fils d’un moteur à l’envers il ne fonctionne pas ; si je me jette par la fenêtre, je m’écrase ; si je défie par trop les lois morales et psychiques, à plus ou moins long terme, je décroche et entraine mes proches à ma suite.
De la contemplation à l’invention
Luc Ferry oppose l’Antiquité, où les hommes « découvraient » la nature (a-leteia :dévoilement) par les sciences mathématiques, astrologiques et autres, s’en tenant à l’ observation, la contemplation, à l’époque moderne où ils seraient devenus des « inventeurs ». C’est faire peu de cas des inventions de l’Antiquité (l’aqueduc, le boulier, l’anesthésie, la grue, le cadran solaire, etc.) et c’est ignorer que les « inventeurs » de l’histoire plus récente procèdent également par l’observation de plus en plus poussée des lois de la nature que le génie humain leur permet de combiner entre elles plutôt que d’en inventer de nouvelles.
De ces découvertes et inventions scientifiques toujours plus étonnantes, nous appréhendons que le monde physique et biologique, loin d’être issu d’un chaos inorganisé répond à des lois auxquelles les savants ne sauraient contrevenir, sur lesquelles ils s’appuient au contraire et qu’on n’a jamais fini de découvrir. Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.
Il en va de même pour l’homme. Si l’homme fait partie du cosmos, pourquoi échapperait-il à ces lois inscrites dans la nature ? On admet que la grande différence entre l’homme et l’animal est la liberté dont jouit l’homme par rapport à sa nature. L’animal est presque entièrement programmé. Le comportement et les réactions des abeilles sont à 95% automatiques en fonction de leur fin : défendre la reine et produire du miel. La tortue de mer dès la naissance n’a besoin de personne. Elle est programmée pour trouver toute seule le chemin de la mer et pour survivre. Si les animaux sont industrieux, ils ne sont pas inventeurs : les termitières, fourmilières, nids d’oiseaux et autres huttes de castors, tout sophistiqué qu’ils soient, n’ont pas évolué depuis leur apparition. Ils n’ont pas d’histoire.
A l’inverse, l’homme, seul dans la création, décide lui-même de son mode vie, il est libre de sa conduite. Dans des circonstances identiques les hommes agissent différemment et tout au long des siècles, ont construit une histoire, capitalisant et transmettant leur savoir et leur expérience. Est-ce à dire qu’ils n’ont pas de nature commune et de mode d’emploi comme le reste de la création ? Si c’était le cas, ce serait le chaos, les expériences des uns ne pouvant servir aux autres et le logiciel ne pouvant se perfectionner et se transmettre au fil des générations puisque les capteurs ne seraient pas du même registre.
Comment alors conjuguer cette enivrante liberté avec ce mode d’emploi incontournable ?
Changer de nature ?
L’homme peut-il s’affranchir totalement des lois de la nature auxquelles la matière et le monde végétal ou animal sont soumis ?
Si l’on considère la partie matérielle de notre être, c’est-à-dire notre corps, la réponse est non. Comme les pierres nous sommes soumis à la loi de l’attraction universelle, nos conditions de survie – température, atmosphère, alimentation, etc.- nous sont imposées. Les Vegans pourront toujours contourner la « loi » en refusant de manger de la viande mais ils sont obligés de compenser par des compléments alimentaires chimiques ; Les cosmonautes, repoussant les limites de l’espace voyagent avec leur provision d’oxygène, aucun entraînement volontariste ne lui permettant de s’en passer ; au-delà ou en-deçà d’une certaine température je ne peux survivre.
Est-ce qu’au moins la partie immatérielle de mon être -mon cœur, mon esprit, mon âme- pourrait revendiquer une indépendance totale ? « Je suis qui je décide d’être, je fais ce que je veux et le monde en face de moi doit plier à tous mes désirs ». Car c’est bien là la revendication contemporaine. Rien ne doit m’être imposé ; je suis libre de me déterminer moi-même. Aujourd’hui garçon, demain fille, mon corps est à moi ; un enfant si je veux, comme je veux ; mon père ou ma mère ne me plaisent pas : je choisis mon nom ; j’aime ou je n'aime pas ou plus : je laisse tout en plan et je vais voir ailleurs ; mes préférences sexuelles ont force de loi…
L’observation impose une première limite : l’âme et le corps sont indissociablement liés, au moins jusqu’à la mort et ne peuvent être « construits » ou « déconstruits » séparément. Les lois de la biologie imposent de facto des limites à la volonté (au désir). Si je veux changer de sexe, je peux suivre tous les traitements hormonaux, subir des opérations chirurgicales, changer mes vêtements et ma coiffure, je ne parviendrai à changer que mon apparence et non pas mon être car mon sexe est inscrit dans chacun de mes gênes et je n’y peux rien y changer.
La médecine révèle de plus en plus les effets secondaires – sanitaires et psychiques- auxquels les femmes se croyant libres de leur corps exposent celui-ci. Et si j’abuse de l’alcool, je me détruis.
Tour en se croyant moderne et refusant de se confronter aux faits, l’homme contemporain retourne aux vieilles hérésies dualistes comme la religion cathare. Peu importe ce que je fais avec mon corps, seul compte mon esprit qui est pur puisqu’il est sincère. Une sorte de schizophrénie en somme.
La deuxième limite tient au fait que l’homme, à la différence de la plupart des animaux, est un être essentiellement relationnel. Des expériences ont été menées qui montrent qu’un bébé, normalement nourri et réchauffé, s’étiole et meurt s’il n’a aucune relation (le prendre dans les bras, lui parler, le caresser). Mes actions ont une influence sur mes proches.
Le respect de la nature, c’est revenir au réel
En voulant tout déconstruire pour se reconstruire à son idée, l’homme tourne simplement le dos au réel. Depuis le Nemo ante me de Descartes suivi par Rousseau (Il faut d’abord écarter les faits), une pseudo-rationalité versant dans le ressenti prend la place de la réalité. Tournant le dos à sa nature, l’homme ne sachant plus se reconnaître lui-même, n’arrive plus à voir l’autre tel qu’il est. Refusant la complémentarité naturelle homme/femme, l’homme doute de sa virilité et la femme se retrouve bien seule. Le mode d’emploi perdu, la moteur en surchauffe explose ou ne répond plus.
Notre liberté ne consiste donc pas à suivre nos caprices et ressentis à l’aveugle mais à exercer notre intelligence pour discerner les règles (mode d’emploi) qui nous ajusteront à notre nature pour tirer le meilleur de nous-même et favoriser le bien commun, et notre volonté à accomplir ce que notre intelligence nous fait entrevoir.
L’apanage de l’espèce humaine est de pouvoir s’autodéterminer, choisir librement. Cela ne revient pas à dire que tous les choix se valent. Nous avons vu plus haut que certains permettent de nous élever, tandis que d’autres conduisent à des impasses, voire, à la mort. Etre libre, ce n’est donc pas pouvoir faire n’importe quel choix, mais la faculté de faire le bon choix, le Bien. Ce que les animaux sont contraints de faire par l’instinct, nous avons la faculté de le faire librement. N’étant pas l’auteur de notre existence – qui pourrait le prétendre ? – nous avons intérêt à accepter les lois de notre nature.
Respecter les lois de la nature est d’ailleurs un impératif largement compris et partagé aujourd’hui lorsqu’il s’agit de notre environnement minéral et animal. Nous savons que les négliger mène à la catastrophe. Il est donc bien facile de comprendre que défier la nature humaine aura les mêmes conséquences apocalyptiques sur notre espèce.
Non sans malice, l’essayiste Jean-Michel Delacomptée[3] note que mise au pied du mur, la nature humaine retrouve ses droits : Face à la guerre, le peuple Ukrainien a immédiatement oublié tous les poncifs genrés : Les hommes ont envoyé les femmes à l’abri au-delà des frontières et ce sont eux qui combattent. Et tout le monde admire ! C’est ce qui s’appelle revenir à la réalité.
On en vient à dire comme Guillaume Bergerot[4] et Michel Ayuso que la légitimité du droit naturel viendrait de sa conformité avec des lois transcendantes, extérieure à la volonté des hommes : la loi naturelle.
Ultime question : s’il y a un « mode d’emploi », quel en est l’artisan ?
La famille est un fait de nature. Dès l’origine de l’humanité elle a constitué les premiers liens entre les hommes. Forte de votre soutien, notre association Famille et Liberté continuera à la défendre contre vents et marées.
Claire de Gatellier
[1] Hausse inquiétante des suicides d’enfants et adolescents, notamment, les jeunes filles. (Santé Publique France)
[2] Juridictions supérieures : Conseil d’Etat, Conseil constitutionnel, Cour européenne des droits de l’homme, Cour de justice européenne
[3] Jean-Michel Delacomptée Le Figaro 21 Mars 2022. Lire également du même auteur Les hommes et les femmes. Notes dur l’esprit du temps ; Ed. Fayard 2021
[4] In Le droit et le juste. Le droit est-il deventre 16 180 pour 5 pagesnu injuste ? Réflexions en vue d’une refondation du droit. Colloque sous la direction d’Aude Mirkovic et Olivia Sarton – PUF 2021