Où va le droit de la famille ?
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- Publication : mercredi 8 janvier 2020 11:34
Où va le droit de la famille?
Yvonne Flour
Professeur Professeur émérite à l'Ecole de droit de la Sorbonne
A vrai dire, prétendre répondre à une telle question, c’est faire preuve de beaucoup de présomption. Nul ne peut dire où va le droit de la famille tant il paraît bouleversé et soumis à des tensions contradictoires. Mais on peut tenter un point d’étape, s’efforcer de comprendre quels facteurs ont conduit cette évolution, esquisser, si cela est possible, une direction vers laquelle elle nous emmène.
A titre liminaire, constatons qu’on ne trouve nulle part dans la loi une définition de la famille. Ce n’est pas si surprenant : la famille est une société naturelle, non une création de la loi.
Le mot même n’apparaît en réalité que dans des occurrences plutôt rares dans le Code civil. Ce qu’on y trouve en revanche, ce sont des liens, dont l’articulation entre eux va constituer la famille : le lien conjugal d’abord, le lien de filiation ensuite. Comme on le voit immédiatement, c’est traditionnellement le mariage qui a pour fonction d’articuler entre eux ces liens. Je ne crois pas me tromper en affirmant que tous les systèmes juridiques à travers l’histoire et toutes les cultures ont connu le mariage. Et c’est donc autour de lui que le Code civil a tout organisé. Il n’est pas besoin de longues études pour voir qu’il n’en est plus ainsi. On ne peut plus dire aujourd’hui que la famille est fondée sur le mariage. Mais vient alors la question : qu’est-ce qui fait la famille ? Quelle est désormais la place du mariage ? Et quelles conséquences l’effacement de cette institution produit-il sur le fondement de la filiation ? Quels prolongements pour l’avenir de la famille ?
Auparavant toutefois, je voudrais en quelques mots expliciter les motifs qui me semblent éclairer cette évolution. Bien sur, on ne saurait l’expliquer par un facteur unique. Reste que le principal, selon moi, est la pénétration toujours plus avant dans la famille de la doctrine des droits fondamentaux, tels que les consacre la Convention européenne des droits de l’homme précisée et complétée par la jurisprudence extrêmement dynamique de la Cour du même nom. Pour l’essentiel, deux principes tirés de la Convention sont concernés. C’est d’abord le principe de non-discrimination, dont l’effet le plus clair est d’interdire de favoriser un modèle familial plutôt qu’un autre. C’est ensuite le droit à une vie familiale normale, issu de l’article 8 de la Convention.
Or, cette notion de vie familiale « normale » est assez déconcertante, puisque la pluralité des modèles signifie justement qu’il n’y pas de norme. La norme, c’est ce que chacun décide pour lui-même, et la vie familiale normale ressemble ainsi à une auberge espagnole où chacun apporte la manière dont il entend vivre sa vie de couple ou de famille. Elle signifie en réalité qu’il appartient au législateur de reconnaître, organiser, protéger, les modes de vie que les individus choisissent dans la libre détermination de leur identité. Cette nouvelle approche a des conséquences importantes. Les droits fondamentaux sont par nature des droits individuels. Il en résulte qu’aujourd’hui, la famille ne se présente plus comme un groupe doté d’un intérêt commun qui surpasserait l’intérêt propre de chacun de ses membres, mais plutôt comme le lieu où s’épanouissent les droits individuels, et qui n’est justifiée qu’autant qu’elle leur permet de s’y épanouir.
I- La place du mariage dans la famille
Dans tous les systèmes juridiques, le mariage a une fonction spécifique, qui est d’instituer la famille par le droit. Plus précisément, la fonction du mariage est d’instituer la filiation en rattachant l’enfant au couple dont il est issu. C’est aussi plus concrètement l’institution qui prépare l’accueil et l’éducation des enfants et qui assure ainsi la persistance de la société dans son être. Cette articulation entre mariage et filiation, on la trouve encore aujourd’hui dans deux textes particulièrement expressifs, mais qui à vrai dire font plutôt figure de survivance, un peu comme si on les avait oubliés. Le premier de ces textes est l’article 312 du code civil : « L’enfant né pendant le mariage a pour père le mari » ; c’est ce qu’on appelle la présomption de paternité qui justement a pour but de rattacher immédiatement l’enfant au couple que forment ses parents. C’est la raison pour la quelle il était constamment enseigné jusqu’en 2005 que la filiation légitime est indivisible. Le second texte est l’article 203 : « Les époux contractent ensemble dans le mariage l’obligation d’entretenir et d’éduquer leurs enfants ». C’est exprimer avec force la solidarité de l’engagement conjugal avec l’engagement parental.
Il y aurait beaucoup à dire sur les transformations internes du mariage, sur le contenu même de l’engagement conjugal. Mais c’est plutôt à sa fonction d’acte fondateur de la famille que je voudrais m’intéresser. Ce qui frappe à cet égard c’est bien sûr le déclin du mariage. Celui-ci est en quelque sorte attaqué à ses deux extrémités : on se marie de moins en moins, on divorce de plus en plus. Il est aussi concurrencé par d’autres formes de conjugalité : le pacte civil de solidarité couramment appelé PACS, ou tout simplement le concubinage aujourd’hui reconnu par la loi. Le discours officiel, c’est qu’il n’y a pas un modèle de vie familiale que la loi se donnerait pour objectif de favoriser. Il y a plusieurs modèles entre lesquels chacun choisit celui qui lui convient. Il est devenu banal aujourd’hui de dire qu’il n’y pas une famille, mais des familles. A chacun la sienne.
Or, cette concurrence entre les différents modèles familiaux s’est accompagnée d’une déliaison complète entre le droit du couple et celui de l’enfant. Par un apparent paradoxe, tandis que le droit du couple se diversifiait, le droit de l’enfant s’est complètement unifié. Cela s’est fait à partir de l’idée d’égalité. Tous les enfants ont les mêmes droits, quelles que soient les conditions de leur naissance. Le point d’orgue de cette évolution réside dans une ordonnance du 4 juillet 2005 qui supprime la distinction entre filiation légitime et naturelle. Le statut de l’enfant ne dépend donc plus du tout de celui de ses parents. Par exemple, il est frappant de constater que le chapitre qui réglait les conséquences du divorce pour les enfants a été purement et simplement abrogé. Tout ce qui concerne les conséquences de la rupture du couple parental – le choix de la résidence de l’enfant, l’exercice de l’autorité parentale - se trouve désormais dans un chapitre général qui s’applique à tous les enfants, que leurs parents soient mariés, pacsés ou concubins, voire rien du tout. Le même constat est encore plus frappant quand on se tourne vers le PACS. Le PACS est un contrat de vie commune qui à tout prendre ressemble assez bien au mariage. Il n’est pas a priori impensable que des enfants viennent un jour à naître de cette union. Pourtant, dans le chapitre qui le règlemente, il n’est à aucun moment question de l’enfant. Le PACS ne produit d’effets juridiques que dans les relations des partenaires entre eux. Bref, de quelque côté que l’on se tourne, la déliaison est totale.
Par lui-même, ce constat modifie complètement la signification du mariage. Il n’est plus l’institution qui donne forme à la famille. Il est en quelque sorte rétrogradé à n’être qu’un contrat de communauté de vie, un cadre juridique parmi d’autres destiné à organiser la vie de couple, exactement comme l’est le pacte civil de solidarité, rien de plus. Son rôle se borne à assurer aux époux un statut protecteur en leur ouvrant des droits, notamment des droits successoraux car c’est principalement sur ce terrain que le mariage se distingue des autres formes de conjugalité.
On voit bien alors comment cette évolution a ouvert la voie au mariage des couples homosexuels. En effet, si le mariage ne commande plus la filiation, s’il a seulement pour fonction de régir les rapports des époux entre eux, s’il n’a plus aucune incidence sur les relations entre parents et enfants, pourquoi ne pas l’ouvrir à tous les couples ? Que vient faire là la différence des sexes ? Comment justifier que la protection que la loi assure aux gens mariés ne soit pas étendue à tous ceux qui souhaitent simplement s’engager l’un envers l’autre ? C’est cet argument de l’égalité des droits qui a été principalement et efficacement mobilisé pour arriver à la loi du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous. Ce qui est gênant, c’est qu’en réalité la loi va bien au-delà. On le voit déjà dans son texte même, qui précise que « le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets que les époux ou les parents soient de même sexe ou de sexe différents » (art. 6-1 C. civ.). C’est bien dire que dés l’origine la filiation est incluse dans l’ouverture du mariage, sous la forme de la filiation adoptive. Ainsi le projet de loi actuellement déposé sur le bureau du Sénat, en ce qu’il ouvre le recours à la procréation médicalement assistée aux couples de femmes, ne fait que prolonger un acquît déjà réalisé. Il n’en reste pas moins que l’enchaînement de ces revendications suscite le malaise. Elle témoigne d’une aptitude certaine, et d’ailleurs efficace, à assumer la contradiction. D’abord, on prend appui sur la déliaison entre mariage et filiation pour réclamer le droit de se marier. Et aussitôt, on réintroduit la vocation traditionnelle du mariage à accueillir la filiation pour en induire un véritable droit à l’enfant présenté comme le prolongement naturel du droit au mariage. Au demeurant la loi va même encore au-delà puisqu’elle n’ouvre pas seulement l’assistance médicale à la procréation à des couples d’un nouveau genre, mais aussi aux femmes seules. Elle pousse donc à son terme ce que j’ai appelé la déliaison entre le couple et l’enfant. Ce faisant, elle introduit un grand désordre dans la droit de la filiation.
II – Le fondement de la filiation.
Jusqu’ici nous avons constaté des changements liés directement à des facteurs juridiques. S’agissant de la filiation ce sont pour une très large part les progrès de la génétique et des biotechnologies qui provoquent des changements considérables. C’est un véritable raz de marée qui ébranle tout l’édifice. Pour les mesurer je voudrais d’abord regarder leur impact sur la filiation naturelle, avant de revenir aux techniques d’assistance médicale à la procréation.
D’abord, il faut bien voir que la filiation juridique ne se confond pas et ne s’est jamais confondu avec un pur rapport biologique. A vrai dire, le droit s’est longtemps montré assez indifférent à cette dimension du lien, dans lequel il voit plutôt un phénomène social : le constat de l’intégration de l’enfant dans sa famille. Toutefois, de ce point de vue, les filiations maternelle et paternelle ne sont pas sur le même plan. « Mater semper certa est » disaient les romains. La mère est celle qui a donné naissance à l’enfant, et cela se voit. Au contraire la paternité se présente comme un phénomène intime et difficilement connaissable. En fait le père est connu par l’intermédiaire de la mère. C’est cette médiation qu’exprime la présomption de paternité que j’ai rappelée tout à l’heure. Elle s’accorde le plus souvent avec la réalité mais pas toujours. La paternité juridique ne coïncide pas avec la paternité biologique.
Mais aujourd’hui tout est changé. Les progrès de la génétique permettent de dire de façon certaine que tel homme est le père de tel enfant. Dés lors s’impose l’idée qu’il existe une vérité scientifique de la filiation à laquelle la biologie permet d’accéder et que la fonction du droit est de permettre à cette vérité de s’affirmer. Par son objectivité apparente, cette vérité scientifique exerce sur les esprits, y compris sur l’esprit des juges, une sorte de fascination. C’est ainsi par exemple que la Cour de cassation décide qu’en cas de litige sur la paternité de l’enfant l’expertise génétique est de droit. Et la convention internationale des droits de l’enfant consacre le droit pour chacun de connaître ses origines, entendu comme le droit de connaître son géniteur. On est pourtant en droit de se poser la question : la biologie constitue-t-elle vraiment la vérité ultime en matière de filiation ? En réalité la filiation est un lien complexe qui associe un élément biologique avec des éléments affectifs et sociaux. N’en considérer que la composante biologique en ignorant sa dimension affective et sa dimension sociale, c’est en retenir une conception singulièrement réductrice. En dépit de son apparente objectivité, l’expérience montre que cette vérité se laisse facilement instrumentaliser et qu’elle contribue à faire de l’enfant l’objet du conflit des adultes. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que c’est essentiellement la filiation paternelle qui se trouve menacée par de tels contentieux. La fascination pour le tout biologique me semble avoir finalement contribué à déstabiliser la figure du père.
III – On ne se contente pas de corriger la nature, on s’en affranchit.
De façon assez contradictoire, on voit dans le même temps se construire des filiations, qui n’ont plus aucun support biologique. Et désormais, c’est la filiation maternelle ellemême qui, à son tour, est atteinte dans sa substance. Certes, cela n’est pas tout à fait nouveau. C’est déjà le cas de l’adoption. Mais l’adoption ne vise pas à donner naissance à un enfant. Elle donne une famille à un enfant déjà là, ce qui est une perspective toute différente. Toute autre est la logique de l’assistance médicale à la procréation. Dans le droit positif actuel, cette technique est fortement encadrée par la loi. Elle n’est licite que lorsqu’elle a pour but de remédier à une infertilité médicalement constatée, ou qu’elle a pour but d’éviter la transmission d’une maladie. Elle est donc ouverte à des couples, mariés ou non, mais composés d’un homme et d’une femme, en âge de procréer dit le texte, ce qui signifie qu’elle demeure préoccupée de conférer à l’enfant une filiation vraisemblable, crédible, en d’autres termes une filiation qui s’inscrit dans le modèle naturel de la filiation biologique. L’adoption singe la nature disait Napoléon. C’est aussi ce que fait jusqu’ici la procréation médicalement assistée.
Or le projet adopté par l’Assemblée Nationale rompt complètement avec cette vision correctrice. La PMA serait désormais ouverte d’une part aux couples de femmes, d’autre part aux femmes seules, non mariées, à la seule condition d’invoquer un « projet parental ». A vrai dire, cela rend un peu compliqué de suivre la logique du législateur. A partir du moment où le mariage a été rendu accessible aux couples de même sexe, on peut comprendre – même si on n’y adhère pas - que l’économie de l’institution conduise à y inscrire de nouvelles filiations. Autoriser l’assistance médicale à la procréation pour les femmes seules est encore une perspective différente. Cette extension n’est commandée par aucune logique. C’est une décision purement politique. Non seulement on abandonne l’idée d’un remède à un problème pathologique, mais l’AMP devient une technique de convenance au service de la demande d’enfant, une alternative librement choisie à la procréation naturelle.
IV – Instrumentalisation des médecins et marchandisation du corps humain
Observons au passage que ces innovations risquent de susciter de nouveaux problèmes, qui n’ont peut-être pas été pensés dans leur dimension complète. Avec ces extensions, il y a d’abord une question posée relativement au statut de la médecine. Un médecin est là pour soigner. Il n’est pas un prestataire de services, prié de satisfaire un désir. Jusqu’où peut-on solliciter son intervention? Y a-t-il des limites à ce qui peut être exigé de lui ? Il y a ensuite un vrai risque d’accroissement de la demande à laquelle les gamètes disponibles ne sauront pas répondre. D’autant que le projet prévoit aussi l’abandon de la règle de l’anonymat du donneur. A l’avenir, les enfants nés par PMA devront avoir accès à l’identité de leur géniteur s’ils le souhaitent. En soi cette règle ne me paraît pas forcément critiquable, mais dans les pays qui en ont fait l’expérience elle s’est traduite par une raréfaction des dons. Et donc, le risque suivant si l’on peut dire, c’est l’abandon du principe de gratuité pourtant constamment présenté comme le rempart de l’éthique « à la française » dans le domaine de l’humain, et audelà la création d’un véritable marché.
Mais revenons à la filiation. On voit bien aussi que, dans ce dispositif, on ne se préoccupe plus que la filiation de l’enfant qui naîtra de ces techniques apparaisse comme vraisemblable ou crédible, qu’elle demeure insérée dans un modèle de génération. D’une part, on crée des doubles liens de filiation monosexuée. L’enfant a deux mères, il n’a pas de père et n’en aura jamais. D’autre part, on crée des filiations monolinéaires dans lesquelles la place du père est délibérément laissée vacante. Dans les deux cas, la filiation paternelle est tenue à l’écart du droit.
Reste à dire comment s’établit le lien juridique entre l’enfant et les personnes qu’il est désormais convenu d’appeler les parents d’intention, par référence au projet parental qu’elles invoquent. Deux règles sont à souligner ici. L’une est déjà en vigueur. L’autre trouverait à s’appliquer aux seuls couples féminins qui recourraient à cette technique. En premier lieu, le couple, ou la femme, qui entend recourir à la PMA avec intervention d’un tiers donneur doit y « consentir » dit le texte, en clair exprimer cette volonté devant notaire (art. 342-10). Cette déclaration de volonté a pour effet de rendre incontestable la filiation ainsi déclarée. Certes, on peut comprendre que, par exemple, le mari qui a consenti à ce que sa femme bénéficie d’une insémination artificielle à l’aide des gamètes d’un tiers s’interdise par là-même de contester à l’avenir sa propre paternité. Son consentement l’engage. Mais l’interdiction va au-delà jusqu’à l’enfant lui-même et jusqu’au tiers donneur. Car si désormais l’identité de ce dernier peut être révélée, il n’en demeure pas moins interdit de constater un lien de filiation entre l’auteur du don et l’enfant qui en est issu. On voit déjà ici comment l’indifférence manifestée à la vérité biologique contraste singulièrement avec l’importance qu’on lui reconnaît en droit commun.
V – Les mères porteuses s’inscrivent déjà en filigrane
Quant aux couples de femmes, elles auraient à procéder à une reconnaissance conjointe de l’enfant à naître, au moment même où elles expriment leur volonté de recourir à l’AMP (art. 342-11). Cette reconnaissance est ensuite remise à l’officier d’état civil au moment de la déclaration de la naissance de l’enfant et c’est cette double filiation qui figurera dans l’acte de naissance. L’indifférence à la réalité biologique est encore plus flagrante. Non seulement, l’enfant a deux mères et pas de père, mais de ses deux mères, une seule lui a donné naissance. La prétendue maternité de la seconde ne résulte que sa volonté déclarée. Jusqu’à présent, s’il était admis qu’un homme puisse assumer la paternité d’un enfant qu’il n’avait pas engendré, la maternité se présentait toujours – sauf le cas marginal de l’accouchement sous X - comme un fait qu’il s’agit seulement de constater et qui résulte de l’accouchement. Désormais la maternité elle-même s’affranchit à son tour de toute référence à la réalité biologique, et même historique, de la naissance. Elle n’indique plus de qui l’enfant est né, elle ne repose que sur un projet, une pure abstraction : l’intention de deux femmes d’être mères, sans même que l’on sache de laquelle l’enfant est née et sans que l’on veuille connaître qui l’a engendré. C’est le sens même des mots père et mère qui nous échappe. C’est aussi l’apparition d’un nouveau droit de la filiation construit sur de principes radicalement opposés à ceux qui fondent la filiation charnelle : dans l’une on cherche la vérité de la filiation, entendue comme vérité biologique ; dans l’autre, apparaît une filiation purement juridique qui ne repose que sur un projet, une intention, dans une indifférence absolue à la composante biologique. Un tel dualisme ne paraît pas viable. Beaucoup d’auteurs soulignent aujourd’hui la nécessité de repenser la filiation et ses fondements. Certes, mais dans quel sens ? J’ai le sentiment que l’on peut aller vers un désordre et une désintégration croissante. Il est patent par exemple que l’abandon du principe que la mère est celle qui donne naissance à l’enfant au profit d’une maternité purement volontaire fragilise par là-même l’interdit de la gestation pour autrui, déjà bien mal défendu.
Ainsi le projet de loi actuellement déposé sur le bureau du sénat se présente-t-il comme un projet de rupture. Les premières lois bioéthiques s’étaient préoccupées de permettre aux couples sans enfants de bénéficier des progrès des techniques médicales tout en posant un ensemble de principes qui assure d’un côté le respect de la fonction généalogique de la filiation et de l’autre refuse la marchandisation de l’humain. Or, le texte voté par l’assemblée nationale tourne le dos à ces préoccupations, il renonce au cadre patiemment élaboré par les lois antérieures pour encadrer la pratique de l’assistance médicale à la procréation. C’est, dit Gregor Puppinck, comme si la digue bioéthique s’effondrait sous nos yeux, emportée par une foi aveugle dans les promesses de la biomédecine et l’idée que tout ce qui est techniquement possible devrait par là-même être accepté.
En bref et pour en revenir à la question initiale, on est tenté de répondre : le droit de la famille ne va nulle part, car il n’existe déjà plus, tant il a été recouvert pas les droits de l’individu.
Yvonne Flour
Pofesseur émérite à l'Ecole de droit de la Sorbonne