Lettre de Claire de Gatellier. Juin 2015
- Détails
- Publication : samedi 11 juillet 2015 14:25
De très nombreuses familles auront pu faire l’amère constatation, en remplissant leur déclaration d’impôt, que celui-ci a fortement augmenté, de même que beaucoup d’entre elles verront à partir de juillet leurs allocations familiales réduites à la peau de chagrin.
Dans le même temps, les lecteurs du site de Famille et Liberté ont pu lire l’article de l’économiste Jacques Bichot
alertant sur la baisse amorcée du taux de fécondité dont s’enorgueillissait la France : si la baisse du premier trimestre 2015, par rapport au premier trimestre des sept années précédentes, se poursuit, le taux de fécondité passerait de 2 enfants par femme à 1,9 (déficit de 8 700 naissances au premier trimestre).
Jacques Bichot ajoute qu’ « un être humain né en France crée en moyenne environ 70 000 € de richesse chaque année pendant 40 ans. Pour le total de sa vie active, cela fait 2,8 millions d’euros. 10 000 naissances en moins, c’est donc quelque chose comme 28 milliards d’euros de PIB en moins dans les décennies à venir. Hélas, nos cerveaux sont ainsi formatés qu’un manque à gagner de 28 milliards les impressionne nettement plus qu’un "manque à naître" de 10 000 bébés. »
Nous laisserons au lecteur le soin de nuancer le lien que l’on peut faire entre le taux de fécondité et les difficultés matérielles grandissantes dans lesquelles se débattent les familles. Les instabilités familiales et le développement d’une mentalité consumériste et contraceptive n’y sont pas pour rien. Il n’empêche qu’avant « d’en prendre pour 20 ans », le temps de l’éducation d’un petit homme, les familles aimeraient avoir un peu de visibilité. La politique familiale, exemplaire en Europe, avait jusqu’à maintenant permis de maintenir un des meilleurs taux de fécondité. Son détricotage et des mesures nouvelles tous les six mois agissent comme des voyants rouges pour les familles qui n’osent plus s’engager.
Famille et Liberté a démontré ces derniers mois
-
l’hypocrisie et l’iniquité qui se cachent derrière la suppression progressive du Quotient familial Lettre n°78
-
la mise quasi obligatoire des mères sur le marché du travail, si possible à plein temps Lettre n°76
-
la disparition progressive, inexorable et déterminée, de la politique familiale c’est-à-dire de la juste compensation de la baisse du niveau de vie consécutive à la naissance d’un enfant Lettre n°80
-
Nous avons aussi tiré la sonnette d’alarme sur les retraites des pères et mères de famille et plus largement, sur les conséquences pour les retraites de tous d’une baisse de la fécondité Lettre n°81
-
Et sur l’impossibilité pour les familles de « choisir »…d’avoir encore un enfant, de l’élever à leur façon, de choisir son école, et, pour les femmes qui le souhaitent, de choisir entre les enfants et la carrière… Lettre n°79
Plus grave encore, nous avons montré comment, derrière ces mesures matérielles et financières se cache une logique implacable de dissolution de la famille, de l’esprit de famille. Lieu du don gratuit par excellence et d’échanges désintéressés, la famille était pensée, jusque-là comme un tout solidaire, où les revenus s’additionnent et se partagent selon les besoins.
Désormais, on pense en terme de comparaison, d’inégalité, voire d’injustice, entre des individus concurrents et non plus associés et complémentaires.
Les réformes faites ou envisagées en terme de travail à temps partiel, de congé parental, de retraite ou encore en matière fiscale comprennent la famille comme un lieu de rivalité, de calculs, d’ambitions où le chacun pour soi et l’Etat pour tous est la règle.
Dans cette optique, le mariage n’est plus qu’un contrat et les enfants, un produit. Ces « produits » doivent répondre à des normes. Pour cela, l’école, réformée par un Etat à la fois nounou et Big Brother, ne les prendra jamais assez tôt et assez longtemps pour les couper de leurs racines et en faire de parfaits petits citoyens du Meilleur des mondes.
Mais rien n’est inéluctable. La famille est ancrée dans le cœur de l’homme. Près de 98% des Français jugent la famille « importante dans la vie », et plus de 86% « très importante », loin devant le travail et tout le reste. Aidez-nous, par votre soutien, à trouver et répandre les bons arguments pour promouvoir la famille et déjouer l’entreprise de déconstruction orchestrée par une intelligentsia toute puissante.
Claire de Gatellier
Pauvres familles ! Pauvres enfants ! La prochaine étude de Famille et Liberté sera l’occasion d’un colloque, à Paris, le samedi 10 octobre prochain, en partenariat avec l’International Children’s Right Institute sur Le divorce, vu du côté de l’enfant. Réservez déjà votre après-midi.
La politique familiale n’est plus universelle
Une mère de 5 enfants écrit à son député pour l’alerter sur les conséquences des mesures prises au cours de l’année au détriment des familles dites « aisées ».
« Dans notre cas, nous avons 5 enfants (16, 14, 10, 8 et 5 ans) scolarisés dans une école privée sous contrat à Paris ce qui nous coûte par an près de 10 000€ ; bien sûr, il faut ajouter à ces frais liés aux enfants les frais de nourriture (250 à 300€ par semaine à raison de 5 à 6 baguettes de pain par jour !!!), à quoi s’ajoutent
-
4 000€ de charges mensuelles de logement : ce qui est fréquent dans la région parisienne[1]
-
1 500€ pour le salaire de la nounou (tant que les charges sont compensées par les aides pour garde d’enfant à domicile et qu’il y a réduction d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile, ce qui était à peu près le cas avec les cotisations au forfait)
-
900€ par mois d’impôt sur le revenu
Nos revenus qui sont ceux de deux parents cadres supérieurs ou équivalent sont de 11 240€/mois à quoi s’ajoutent 756€ d’allocations familiales (avant la réforme), soit 12 000€.
Il reste donc 5 600€ mensuels pour couvrir l’ensemble des autres charges courantes pour une famille de 7 personnes : voiture, vêtements (on passe d’un enfant à l’autre autant qu’on peut…), chaussures, frais médicaux (lunettes, pédiatre…), eau, électricité, chauffage, transports, taxes diverses, frais de scolarité annexes[2], vacances, loisirs, etc.. Nous pouvons vivre convenablement mais néanmoins pas dans les proportions que pourraient laisser penser le niveau apparent de revenus.
Mais depuis 2012, trois nouvelles mesures sont venues réduire significativement ce revenu disponible :
-
La baisse du quotient familial, passant de 2 236€ à 1 500€ pour 8 demi-parts, soit un peu plus de 550€ par mois d’augmentation d’impôt sur le revenu.
-
Le passage du forfait au réel dans la déclaration de cotisation pour la « nounou », soit environ 250€ de plus par mois.
-
La réduction de 75% des allocations familiales, soit 470€ par mois.
Au total, toutes choses égales par ailleurs, nous avons donc vu notre revenu disponible réduit de 1 270€ par mois (soit plus 15 000 par an) par l’effet cumulé de ces trois mesures, soit une baisse de plus de 22%. Il convient au passage de noter que la première et la troisième de ces mesures ont un coût pour la famille directement proportionnel au nombre d’enfants (à partir du deuxième), pesant ainsi tout particulièrement sur les familles nombreuses.
Cet exemple de famille n’est certes pas majoritaire en France. Néanmoins les familles de ce type sont nombreuses, plus particulièrement en région parisienne. Jusqu’à récemment, beaucoup de jeunes couples ayant fait des études supérieures et appelés à être cadres supérieurs pouvaient légitimement considérer que la France était un des rares pays dans lequel il était raisonnablement possible d’avoir une famille nombreuse, jusqu’à 5 enfants comme dans l’exemple ci-dessus voire plus, sans que chacun des enfants représente une charge financière excessive. Je vous prie de croire que ces familles, qui ont vu en quelques années leur revenu disponible très réellement diminué, sont profondément et sincèrement troublées par notre politique familiale.
Je suis enseignante et les 1 270€ par mois que ces mesures nous coûtent représentent 40% de mon salaire net… J’en viens à me poser la question : est-il nécessaire que je continue à travailler alors que j’estime œuvrer doublement pour la nation : en élevant mes cinq enfants (futurs actifs, contribuables…) ; en travaillant dans l’enseignement (formation de nos jeunes générations et futurs actifs, citoyens) pour un revenu disponible qui ne cesse de baisser et très inférieur à la moyenne de l’OCDE, d’où aujourd’hui le manque réel d’enseignants, et un statut qui devient de moins en moins reconnu…
Bref, je deviens bien amère sur la reconnaissance de mon pays pour les efforts entrepris à ma petite échelle.
Note de Famille et Liberté : A quoi s’ajoute, pour la plupart, l’explosion du budget nounou ou baby-sittter depuis la réforme des rythmes scolaires : + 6,1% en moyenne et + 11% à Paris
[1] Note de Famille et Liberté :Anne Hidalgo, maire de Paris, ne s’y trompait pas lorsqu’elle s’opposait à la mise sous condition de ressources des allocations familiales : consciente de l’effort qu’elles font déjà pour se loger, elle craint de voir Paris continuer à se vider des familles.
[2] Note de Famille et Liberté : Les dotations de l’Etat faisant cruellement défaut aux collectivités locales, ces dernières ont du mal à boucler leur budget et notamment à financer les cantines scolaires. Certaines parlent donc d’augmenter les tarifs de cantine …des « riches ». Des parents se plaignaient à la radio d’une augmentation dans leur cas de 20%....