Communication de Roberto Lopez, au colloque du 26 novembre 2014, à Bruxelles, sur la GPA
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- Publication : samedi 11 juillet 2015 14:21
Je voudrais remercier les organisateurs de ce colloque pour le grand honneur qu’ils me font, alors que l’on a célébré, il y a six jours, la journée internationale pour les droits de l’enfant. Le 20 janvier 2014 je suis intervenu à Washington DC au sujet de l’importance des droits des enfants. Un des grands problèmes qui nous est posé est une question académique voir une question disciplinaire. Je ne parle pas de la discipline demandée aux enfants, mais d’une discipline intellectuelle. Comment peut-on affirmer qu’il existe quelque chose qu’on nomme le droit de l’enfant et comment peut-on dire que le droit a été violé? C’est une sorte de mystère épistémologique: comment est-ce qu’on sait ce qu’on sait, et comment est-ce qu’on peut diffuser nos savoirs?
En parlant des droits de l’enfant dans le contexte anglophone c’est un peu compliqué car il y a beaucoup de confusion quant aux mots “droits de l’enfant.” Cette expression est parfois réduite à sa signification strictement épidémiologique. Les militants pour l’enfance qui utilisent le titre “droits de l’enfant” en anglais sont très vigilants aux enjeux comme la pauvreté infantile, l’abus physique, la santé, les vaccinations, etc. Très souvent ces experts visent la “justice” en basant leurs objectifs sur les statistiques et les chiffres: le pourcentage des élèves qui finissent leurs études, leurs notes, la proportion des enfants qui souffrent de maladies physiques ou mentales. Cette emphase positiviste (si on peut le dire) manquait généralement d’un vocabulaire pour douter et questionner la philosophie derrière ces chiffres.
Parmi les militants pour les enfants, au nom de la réduction de la pauvreté infantile, les savants donnent un grand bénéfice aux parents et aux communautés riches: C’est à dire, vu que les riches peuvent acheter plus de choses pour les enfants — si un expert mesure les différences entre les enfants il va décider, que les enfants des riches sont plus heureux, plus acceptables, plus représentatifs de ce que la société vise en tant qu’idéal. Les enfants des riches ont de meilleures notes académiques, moins de maladies, des chambres plus rangées, ces chiffres sont des “preuves” du bonheur dessiné par les experts de statistiques.
Certains experts des “droits de l’enfants” appuient l’avortement, la chirurgie transsexuelle, et l’homoparentalité parce que des études trouvent des chiffres qui confirment analytiquement que ces événements étaient “meilleurs” pour les enfants. Et que les enfants avec de telles approches “allaient mieux” en général.
Il faut dire que cette génération d’experts des droits de l’enfant fonde ses conclusions sur les sciences sociales, en évitant la philosophie, l’histoire, et les lettres.
Et là je pose la question : quel sens y a t-il à mesurer le bonheur d’un enfant avec de telles additions? Quel est le sens de réduire la vie d’un enfant à une équation mathématique ? Mon sujet consiste à ramener au cœur du débat la philosophie, l’histoire, et les lettres.
Il y a deux ans, en France, a commencé quelque chose de très différent, au nom des “droits de l’enfant.”
Les manifestants en France disaient “Non” aux idées auxquelles les savants disaient “Oui.” Au vu de cette lutte entre l’académique et le populaire, il faut se demander: Pourquoi cette grande différence de point de vue? Est-ce qu’on peut imposer une science académique contre le bon sens populaire qui paraît profondément opposé à la GPA?
A cette question, moi, je dis “oui.” il est possible de résister à la pression académique du politiquement correct et je trouve cela absolument nécessaire.
Il y a trois lobbys très puissants exportés par les américains: celui de la reproduction artificielle, celui de l’adoption “adoption industry”, et celui des gays et lesbiennes. Tous les trois perçoivent un bénéfice soit économique soit social à affaiblir le lien social entre l’enfant et ses parents biologiques. Tous les trois ont beaucoup d’alliés libéraux dans les universités américaines, qui fournissent une grande quantité d’experts qui alimentent la rhétorique des chefs d’états libéraux.
Najat Vallaud-Belkacem, Pierre Bergé, et Christiane Taubira, par exemple, disaient au peuple français que la science sociale était de leur côté. Ils disaient avec beaucoup d’assurance qu’il existait un consensus aux Etats Unis, selon lequel les enfants avec ou sans leur père et mère biologiques ont des résultats de bonheur mesurables par la richesse. Et si on accepte le concept qu’un enfant est une chose mesurable et qu’il est possible de le mettre en équation, alors ils avaient raison.
Aux Etats Unis, l’American Sociological Association, American Association of Pediatrics, American Medical Association, beaucoup d’associations pour les adoptions et les familles d’accueil, l’American Psychiatric Association, tous cercles d’influence très importants, étaient d’accord sur l’interprétation des “études.” Ils additionnaient les notes à l’école, les états de santé — et en Australie, on mesurait le “bonheur” de 500 enfants de couples de même sexe, y compris beaucoup d’enfants conçus par GPA. Ils ne trouvaient “aucune différence” ou il trouvaient que c’était à l’avantage des familles anti-biologiques.
Il y avait quelque chose très troublant au sein de ces tendances: c’est qu’on parlait en fait de vendre et d’acheter la vie humaine ; avec les biomatériaux, les enfants seraient comparables voir interchangeables. Aux -Etats-Unis avec une histoire très lourde de l’esclavage on attendrait un peu plus de précaution — mais on le ne trouve pas. Les sciences sociales étaient à l’aise en justifiant la vente et l’achat des enfants.
En Amérique, le peuple acceptait ces propos. En France, non. Puisque j’ai travaillé beaucoup dans les deux pays. Je me demande pourquoi cette différence.
A cause de mon travail en tant que traducteur, il y avait des gens en France qui ont découvert ma biographie personnelle, y compris mon enfance avec une mère lesbienne et mes écritures basées sur ce que j’ai vécu. Mais plus important que ma biographie est mon travail en tant que professeur de lettres, diplômé en grec et latin, et formé par les théories de Michel Foucault, Gilles Deleuze, et beaucoup d’autres philosophes français ayant beaucoup d’influence aux Etats Unis. Vraiment, avoir eu une mère lesbienne, c’est très important à mentionner quand je milite. C’est également important qu’il y ait des intellectuels qui utilisent l’ensemble de l’art et littérature humaine pour donner au discours une ampleur et une rigueur intellectuelle hors des chiffres, hors des sciences sociales.
La GPA c’est l’achat et la vente des enfants. Elle l’est. Mais il faut qu’on continue à trouver un discours pour expliquer ses lourdes conséquences.
Il faut nous souvenir que l’argent c’est un système de chiffres. Beaucoup des gens qui voulaient légaliser la marchandisation de la procréation étaient riches, car ils avaient la possibilité d’acheter les enfants. Alors les sciences sociales favorisaient les lobbys plus riches. Et peut-être, c’est ironique, mais supposément la gauche est le côté qui doit surveiller les abus des riches et protéger les pauvres; dans ce cas-ci, la gauche ne fait pas ce qu’il faut.
Si on sort du cadre des sciences sociales on peut entrer dans la littérature, la philosophie, l’art, et l’histoire; et là on trouve beaucoup d’évidence, que l’humain a le désir éternel d’arriver dans une famille sans être acheté ou fabriqué ; chaque garçon, chaque fille a le désir naturel d’un père et d’une mère, et l’humain est toujours attiré par ses origines de soi, par la question: ‘d’ou est-ce que je viens? Pourquoi est-ce que j’existe?’ L’histoire nous montre en Amérique trois exemples très importants de choses qui ont laissé des traces de souffrances gigantesques à cause de l’erreur humaine de ne pas respecter ces deux désirs éternels: l’esclavage, le génocide culturel des indiens indigènes, et l’eugénisme.
Jusqu’à maintenant les courants conservateurs américains qui ont saisi le projet de défendre la famille ont fait l’erreur d’essayer de poser la résistance à la marchandisation de l’enfant en citant plus d’études et plus de sciences sociales.
Les études sociales ne sont pas pertinentes pour conclure sur la dignité humaine de la situation dans laquelle les enfants sont placés.
La droite était vraiment d’accord avec notre gauche quant à la vision positiviste du monde: la vision libérale rejoint la vision progressiste qui interdit d’interdire.
La réalité c’est que la science sociale n’appuie pas la résistance à la GPA. Ou au moins, la science sociale ne nous aide pas si c’est notre seul niveau de discours. Il faut mobiliser l’art, la littérature transhistorique, l’histoire et la philosophie, parce qu’il faut pouvoir exprimer en mots concrets ce que nous savons par instinct:
—Même si un enfant vendu par sa mère pauvre à un couple stable et riche peut avoir des meilleures notes, gagner plus d’argent, et atteindre des résultats plus hauts, ce n’est pas une preuve de bonheur. Il y a quand même une série d’injustices irréparables, par exemple la négation des origines, ou la séparation avec un parent, ou l’abandon, ou la vente, ou l’achat, ou la conception dans une boite sans amour, une blessure spirituelle qui vient du fait d’être vendu.
C’est un travail pour les traducteurs, les écrivains, les profs, etc. Depuis le commencement de mon travail en tant que traducteur, j’ai rassemblé une équipe d’experts de littérature, droit, philosophie, histoire, etc., de 5 pays: Angleterre, France, Belgique, Suisse, et Etats Unis. Le 3 d’octobre on a lancé notre institut avec l’aide de 120 de mes étudiants de los Angeles, qui ont rassemblé quatre-vingts panneaux sur la culture de l’antiquité et du 19eme siècle, pour imaginer la réalité contre-nature de quatre tendances identifiées dès l’antiquité: la PMA, la GPA, l’adoption, et le divorce. Ce soir on ne parle que de la GPA mais il y a des liens entre la GPA et ces autres tendances. Je voudrais vous présenter trois études faites par mes étudiants sur des mythes ou de la littérature avec un lien avec la GPA?
Œdipe : est-ce que Sigmund Freud avait raison quand il a dit que ce mythe symbolise l’inceste? Moi, je dis oui, mais je dis aussi qu’il y a des autres niveaux de lecture. Le problème pour Œdipe, c’est que son père biologique l’a abandonné et qu’il a été élevé ailleurs sans connaitre ses origines. Son identité réelle est confisquée par sa famille pour son bien. Il vit dans la confusion avec une relation filiale en miettes. Quand il tue son père il ne reconnait pas que c’est son père, et quand il couche avec sa mère il ne sait pas qui elle est. Le lien brisé de sa filiation est la cause de sa chute.
Bacchus (Dionysos en grec) né de la cuisse de Jupiter (Zeus en Grec) : d’après Ovide, la naissance de Bacchus est le résultat d’une tragédie cruelle. Sa mère Sémélé était une mortelle qui a eu une aventure avec Jupiter, et à cause de la jalousie de Junon (Héra en Grec). Jupiter a saisi l’ovocyte des cendres de la femme morte, il a implanté cet ovocyte dans sa jambe, et un enfant a grandi dans sa cuisse. Ce mythe décrit une GPA: Sémélé a donné son ovocyte, pour l’enfant de Jupiter. Junon jalouse élimine de sa vie définitivement la donneuse d’ovocyte. Le message du mythe c’est que cette façon d’avoir en enfant en se débarrassant de la génitrice c’est toujours un horreur réalisée par la cruauté: en effet Junon manigance de telle sorte que Sémélé meurt brulée vive. Du point de vue de Bacchus, sa mère génitrice a été brûlée par la femme de son père.
La Case de l’Oncle Tom est le livre le plus populaire aux Etats Unis, au 19ème siècle et beaucoup d’historiens lui font l’honneur d’avoir incité à la Guerre Civile qui a fini avec l’émancipation des esclaves américains. Mais quel est le passage plus emblématique et inoubliable pour nous les américains? C’est quand Liza sait que si elle n’échappe pas avec son bébé, les négriers vont le lui enlever pour le vendre à quelqu’un d’autre. Elle saute de bloc de glace en bloc de glace sur le fleuve entre le Kentucky et l’Ohio pendant l’hive,r avec le petit dans ses bras. C’est l’image de la mère qui refuse de perdre la chair de sa chair qui a toujours incarné le mal de l’esclavage. En 1700 Samuel Sewall, le premier abolitionniste américain, a cité les trois crimes plus graves de l’esclavage et là on ne trouve ni violence ni le racisme. Il cite la séparation des enfants de leurs parents, les hommes des femmes, et les personnes de leurs origines. Merci