Abroger la loi Taubira?
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- Publication : dimanche 3 mai 2015 06:35
Sous le titre « Abrogation : protéger le mariage après la loi Taubira », la revue Liberté Politique n°65[1] a publié un dossier très complet sur le mariage. Nos lecteurs trouveront ci-dessous une analyse de la contribution à ce dossier de Michel Pinton, administrateur de Famille et Liberté. Le titre de son article : « Abroger les racines de la loi ».
Les racines de la loi
Après avoir affirmé en préambule que « Le bien de notre peuple exige [que la loi Taubira soit abrogée] et le plus tôt sera le mieux », Michel Pinton ajoute un peu plus loin qu’ « un retrait pur et simple n’est pas souhaitable si d’autres conditions ne sont pas remplies. » Il faut en effet accompagner la suppression souhaitable de la loi par ce que nous appellerions une reconquête culturelle. L’auteur pose comme point de départ une analyse lucide des raisons pour lesquelles, finalement, et nonobstant les manifestations spectaculaires, on peut dire que « les Français sont devenus en majorité favorables au mariage entre personnes du même sexe ». Même si bien souvent c’est simplement « leur souci de tranquillité publique [ou personnelle : ne pas se poser de questions] qui l’emporte sur leur hostilité ».
L’argumentation principale de l’article repose sur la mise en lumière de ce qui s’apparenterait à une guerre de religion. En ces temps de laïcité proclamée, la religion n’est pas forcément là où on le pense. Celui qui a été acteur et témoin de la politique française depuis les années Giscard[2], a vu progressivement s’installer dans la culture et dans les décisions politiques qui en sont la traduction dans nos lois et nos vies, de ce qu’il appelle « une foi néo-cathare ».
Comme au XIIIe siècle, on retrouve « un dogme central dont la véracité ne peut être démontrée : le corps humain n’est qu’un outil à la libre disposition des désirs de l’esprit. » Et l’auteur ajoute : « Il est vrai que cette religion est purement séculière. Elle ne met l’homme en relation avec aucun dieu. La belle affaire ! Le siècle qui nous a précédés n’a-t-il pas été obligé de lutter contre une autre religion séculière appelée le communisme ? Ne prétendait-elle pas aussi changer la condition humaine, apaiser nos relations avec nos semblables et faire de chacun de nous le maître de son destin ? Dans les deux cas, aucun dieu n’est nécessaire. C’est l’homme lui-même qui est divinisé. C’est d’ailleurs une des raisons de leur attrait. »
Une foi néo-cathare
Rappelons-nous : les Cathares, ou les Albigeois comme on disait aussi, prônaient avant tout « la séparation de l’esprit, par essence bon et pur, d’avec le corps, enveloppe de boue dont on pouvait faire ce que l’on voulait, y compris le supprimer par le suicide (acte hautement loué) ou l’exténuer dans les plaisirs les plus variés, à l’exception de la procréation, jugée mauvaise dans son principe même. […] Les « Parfaits » de notre passé avaient l’obligation de devenir comme asexués, la semence humaine étant, selon les cathares, la substance la plus polluante qui fut. »
Ce mépris du corps[3], simple outil de plaisir bon à jeter lorsqu’il ne sert plus, Michel Pinton en voit la première manifestation et la matrice dont tout découle, dans la loi Neuwirth en 1967 : « En refoulant ou en contrariant les lois naturelles du corps, et plus particulièrement du corps de la femme, la pilule, le stérilet et les autres contraceptifs ont accrédité l’idée que ce même corps n’était qu’un instrument à la disposition des désirs de l’esprit.[…]
« L’idée que ce corps n’est qu’un outil a pour corollaire, par exemple, l’indifférence à sa sexualité, d’où découle l’égalité de traitement entre hétéro et homosexualité, fondement de la loi Taubira ; ou le refus de son corps, qui aboutit au droit de changer de sexe et celui de choisir l’heure de sa mort ; ou encore le rejet de la vie autonome du corps, base de l’interruption volontaire de grossesse. L’euthanasie, l’homosexualité, l’avortement ont toujours existé. Mais c’est dans le sillage de la contraception chimique et mécanique qu’ils ont réclamé une reconnaissance positive. Et s’ils l’ont obtenue, c’est parce qu’une part de plus en plus importante de l’opinion publique se reconnaît dans l’idée de ce qu’est l’homme et de sa relation à son corps, que la contraception a suggérée ».
Nous devinons comment il va être très bientôt aisé de justifier la PMA et la GPA : « puisque le corps humain est un simple outil, il est normal qu’il puisse être vendu et acheté selon sa valeur marchande. »
« Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».
On pourrait sourire de ces extrapolations si l’histoire ne nous donnait une leçon : si les cathares, avec une vision de l’homme proche de la nôtre, n’allèrent pas aussi loin, c’est qu’ils ne bénéficiaient pas des mêmes prouesses scientifiques et parce que leur foi a trouvé en travers de son chemin une autre foi, alors largement partagée et solide et un St Dominique.
L’histoire toute récente confirme d’ailleurs aussi cette analyse : « Simone Veil s’est indignée des changements apportés à la loi qui porte son nom » ; elle dont Michel Pinton rappelle qu’elle disait en 1974 : « Si la loi admet la possibilité de l’interruption de grossesse, c’est pour la contrôler, et autant que possible en dissuader la femme ». « Elle s’illusionnait » commente-t-il.
Même scénario pour Lionel Jospin qui a établi le PACS en pensant avoir ainsi « trouvé un compromis prudent et définitif » et qui a, trop tard, « protesté contre la légalisation du mariage homosexuel ».
« Ni l’un ni l’autre ne sont conscient d’en être responsables » commente M. Pinton.
Comme le disait Bossuet : « Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».
Roselyne Bachelot, à son tour, crut bon en 2010, de remédier au nombre inquiétant d’avortement d’adolescentes en prescrivant « une grande campagne de promotion des produits contraceptifs dans les collèges et lycées ». Elle aurait été « surprise » affirme Michel Pinton de récolter le contraire de ce qu’elle souhaitait : un nombre accru d’avortements. Elle connaissait sans doute moins bien les ressorts de la nature humaine que Jean-Paul II cité ici par M. Pinton : « Il peut se faire que beaucoup de ceux qui recourent aux moyens contraceptifs, le fassent dans l’intention d’éviter la tentation de l’avortement. Mais les valeurs présentes dans la mentalité contraceptive sont telles qu’elles rendent cette tentation plus forte. »
Que faire alors ?
Face à l’envahissement de cette nouvelle religion, M. Pinton préconise un retour à la …laïcité !
« Aujourd’hui deux idées de l’homme et de ses droits se partagent la conscience française. L’une est défendue principalement par l’Eglise catholique ; l’autre est portée par la religion néo-cathare […] L’expérience quotidienne montre à quel point la puissance de l’Etat soutient la seconde et repousse la première. […] Il faut exiger qu’il mette un terme à son insupportable partialité.»
[…] Leur donner les mêmes avantages ferait beaucoup plus qu’élargir un choix de techniques : ce serait rétablir l’égalité entre deux éthiques de l’union sexuelle. L’Etat reviendrait à son obligation de laïcité. »
Ce serait peut-être un bon début, encore que mettre sur le même pied la vérité et l’erreur relève peut-être aussi de l’illusion. Tout et son contraire peuvent-ils vraiment coexister dans les mêmes lois ? dans la même culture ? La laïcité, idée chrétienne à l’origine, signifie-t-elle égalité de traitement entre deux religions ? ou bien distinction des pouvoirs ?
L’adage dit que la nature a horreur du vide. Une société totalement a-religieuse, comme hors-sol, peut-elle exister ? Michel Pinton a brillamment montré qu’on ne chasse pas une religion sans la remplacer par une autre et il souligne que « nos « sans religion » adhèrent à ce qu’il faut bien appeler un article de foi. » Nous conclurons donc avec lui qu’ « on ne fait reculer l’emprise d’une religion sur les esprits qu’en leur proposant une religion plus attrayante, avec une idée de l’homme plus véridique et des principes de vie plus solides.
En France, dit-il, cette autre religion existe. Elle s’appelle l’Eglise catholique. »
Claire de Gatellier
Le 3 mai 2015
[1] Commander ce numéro au prix de 20€ sous le lien suivant. Les autres collaborateurs à ce dossier sont : Roland Hureaux, Joël-Benoit d’Onorio, Anne-Marie Le Pourhiet, Philippe Gosselin, Fr. Sébastien Perdrix et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
[3] Cette théorie du mépris dans lequel est tenu le corps aujourd’hui semble contredite par les soins extrêmes –jusqu’à l’extravagance, parfois – dont il est l’objet : de la fortune des salons de beauté et magazines spécialisés jusqu’à la quasi-divinisation du sport, on pourrait penser que le corps est le Bien essentiel. La contradiction n’est qu’apparente. Le corps n’est exalté que tant qu’il est beau, jeune, « vendeur » et instrument des mille plaisirs. Cet engouement confirme la dissociation de la personne qui déconnecte le corps et l’esprit comme s’ils étaient étrangers l’un à l’autre.