RETRAITES : LA REFORME DU DEVIN PLOMBIER.
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- Publication : dimanche 16 juin 2013 11:47
Johnny est-il venu à la rescousse du gouvernement, en mode subliminal ? A 70 ans, il a, une fois encore, rempli Bercy et fait chavirer ses fans. Le conducteur de TGV, sans doute fatigué par sa grève de jeudi, peut encore espérer cultiver son jardin ou louer un appartement au Maroc pendant 18 ans avant d’atteindre l’âge de l’Idole des jeunes du baby-boom. Revoilà donc la question des retraites. Selon une habitude plus ancrée à gauche qu’à « droite », mais qu’en fait, tous les gouvernements utilisent, on a fait appel à un expert censé éclairer les « professionnels » de la politique. L’expert a pondu un rapport. La publication de celui-ci permet d’évaluer les risques de la réforme proposée en conclusion de l’étude, et le gouvernement peut enterrer partiellement ou totalement les propositions. Il peut également en tirer des mesures que l’expertise justifiera : bon moyen d’exercer le pouvoir en atténuant sa responsabilité. L’habileté consistera ensuite à prétendre, la main sur le cœur, être contraint de suivre certaines recommandations en raison de la pression de la conjoncture, mais en s’interdisant d’obéir à toutes par respect pour des principes aussi nobles que la justice sociale et l’effort équitablement partagé.
Dans une tradition typiquement française, la réforme sera comptable, compliquée et partielle. Le manque de courage des politiciens français leur fait toujours préférer l’expédient des chiffres à la solution structurelle adaptée à la gravité du problème. Leur duplicité coutumière privilégie le puzzle des modifications composites au changement décisif qui ne manquerait pas de conduire à des grèves et à des manifestations propres à un pays où l’agitation stérile a, de tous temps, pris le pas sur le dialogue social avec des syndicats responsables dont l’absence se fait cruellement ressentir. Leur courte vue, jusqu’aux prochaines élections, les incline aux petits pas qui ne leur permettent évidemment pas de rattraper le temps perdu. Le gouvernement rose-vert va donc devoir procéder à une réforme qu’il n’avait nullement annoncée. Il va justifier ce revirement par la crise et le creusement de déficits que son prédécesseur n’avait pas anticipé. Que la gauche, totalement irresponsable et démagogue, se soit constamment opposée aux réformes des retraites sera rappelé par la « droite », qui aura du mal à contredire un discours qui reprendra en partie le sien. Car l’opposition actuelle a, certes, réformé, elle, mais par petites touches, avec la tactique du « salami ». 1993, Balladur, dans l’urgence, augmente la durée de cotisation du secteur privé. 2003, Fillon étend ce principe à la fonction publique et prévoit l’augmentation progressive du nombre de trimestres pour tendre à l’équilibre. 2007, sous Sarkozy, Bertrand s’attaque aux régimes spéciaux sur le mur desquels, Juppé s’était fracassé. Les compensations sont tellement nombreuses qu’elles grignotent en douce l’apparente victoire claironnée. 2010, Woerth, comme Fillon plus tôt, fait voter les mesures comptables qui permettaient de tenir jusqu’en 2017. Ayrault sait que, sans nouvelle mesure, il manquera 7 milliards en 2020.
Mais le Devin Plombier hollandais possède une boîte à outils magique d’où il va sortir un assortiment de solutions conformes à la devise Shadock : « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? « Il y aura d’abord, comme d’habitude, des prélèvements supplémentaires, comme une hausse du taux de CSG pour les retraités aisés. Entre seuils et plafonds qui multiplient l’opacité et l’inégalité, les retraités qui auront le mieux préparé leur départ de la vie active seront conviés à faire preuve de solidarité. De même, ceux qui par le nombre de leurs enfants auront contribué aux cotisations d’aujourd’hui. Pourra s’y ajouter une hausse des cotisations salariales et patronales. Côté dépenses, les pensions, notamment pour les retraités aisés, augmenteront moins que l’inflation. Si l’âge légal du départ en retraite ne sera pas modifié, la durée de cotisation pourra croître jusqu’à 44 ans pour la génération née en 1966 qui ne prendra sa retraite qu’en 2028. Ce bouquet n’embaume pas, il enfume : il évite les sujets qui fâchent, notamment ceux qui peuvent le plus mettre le gouvernement en difficulté, comme l’âge légal, qui ne sera plus qu’un vestige symbolique, une borne témoin que l’immense majorité des travailleurs du privé observera en passant. De même, il n’est nullement question d’aligner le calcul des pensions du public sur celles du privé ni de mettre fin aux privilèges exorbitants de certains régimes spéciaux. La hausse des cotisations comme la baisse des prestations porteront atteinte à la compétitivité et à la consommation, voire à l’épargne, c’est à dire aux moteurs de l’économie pour combler les conséquences de la mauvaise gestion publique : dans un pays structurellement socialiste, quoi d’étonnant ? Les dindons des classes moyennes iront rejoindre les pigeons et les poussins dans la grande foule des plumés. Comment espérer faire partager le goût de l’effort et de la réussite à un peuple auquel on répète chaque jour que la richesse ou même l’aisance sont des péchés qu’il faut se faire pardonner ?
La solution courageuse existe. Elle a été mise en œuvre en Suède avec les Comptes Notionnels … en 1998 ! Elle repose sur l’égalité, sur la liberté (tiens ?) et sur la simplicité. Il n’y a plus de statut de la fonction publique. Tous les Suédois peuvent prendre leur retraite à 61 ans. Ils font alors leur choix en fonction de leur situation familiale et professionnelle, en se basant sur le nombre de points accumulés durant leurs années de travail. Ces points varient selon deux indices : le salaire moyen et l’espérance de vie. C’est un système fondé très majoritairement sur la répartition (7/8èmes) qui permet à chacun de prendre sa décision en toute transparence et à l’ensemble de s’adapter automatiquement à la conjoncture. Lors du débat de 2010, c’est la solution que j’avais préconisée, en y ajoutant une variable, celle d’un troisième indice, selon l’espérance de vie par profession, afin de tenir compte de la pénibilité. La Suède, pays où les sociaux-démocrates et les libéraux ont alterné au pouvoir, a eu le courage de procéder à une réforme structurelle décisive, soutenue par les uns comme par les autres. Que la France n’en soit pas capable et que nos gouvernants demandent aux Français de pomper en permanence comme les Shadocks sans savoir où ils vont n’est pas très glorieux, ni même rassurant.
Christian Vanneste