La réforme du divorce

Publication : mardi 2 octobre 2012 07:16

La réforme du divorce ou la destruction législative du mariage

par Jean Foyer, membre de l'Institut

Le 10 octobre 2001, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi portant réforme du divorce. Qu'en fera le Sénat et que ferait l'Assemblée d'amendements sénatoriaux qui remettraient en cause les principes de ce texte ? Probablement rien, car il s'agit d'une réforme essentiellement idéologique qui efface la conception même du mariage, son essence, l'engagement pour la vie, consortium omnis vitae.

Je ne reprendrai pas l'histoire du divorce depuis les derniers jours de la Législative qui, en septembre 1792, laïcisa le mariage et institua le divorce, qui fut aboli en 1816. Je partirai du rétablissement du divorce au début de la Troisième République. N'en déplaise aux apparences, ce régime conservait encore le principe de l'indissolubilité du mariage. Le consentement des époux était impuissant à le dissoudre. Seul le juge avait ce pouvoir à titre de sanction d'une faute grave d'un époux envers l'autre, faute qui rendît intolérable le maintien de la vie conjugale. Et encore le juge ne le pouvait-il qu'à la demande de l'époux innocent.

Avec le temps les praticiens ont appris l'art de tourner la loi, c'est-à-dire celui de déguiser un consentement mutuel sous les apparences d'une faute. L'époux qui consentait à se charger de tous les torts pour s'affranchir de son conjoint, allait passer une nuit à l'hôtel. L'autre lui faisait signifier par ministère d'huissier une sommation de réintégrer le domicile conjugal, sommation à laquelle il répondait en termes volontairement désobligeants. Au temps où la poste transportait encore des cartes pneumatiques, un avoué parisien s'en adressait une à soi-même chaque matin. Il avait écrit l'adresse au crayon. Il l'effaçait, la carte conservait le cachet de la poste. Un époux pouvait la remplir en termes injurieux pour son conjoint. Exemples entre beaucoup d'autres. Les magistrats n'étaient point dupes, ils laissaient faire. Souvent les avocats soumettaient ensemble un projet de jugement qui constatait l'accord passé entre les époux. Le tribunal le faisait sien. Dans la langue du Palais cela s'appelait "passer un dispositif".

Autour de l'année 1970 la réforme du divorce fut mise en chantier. Un mouvement se fit jour en faveur de l'abandon du divorce pour faute, ou divorce sanction, et de son remplacement par un divorce pour cause objective, l'échec du mariage, sans qu'il y ait lieu d'en rechercher la cause, c'est-à-dire divorce faillite ou divorce remède. Cette conception du divorce était celle qui dominait dans les pays de l'Europe du Nord.

La loi du 11 juillet 1975, qui a récrit le titre du divorce au Code civil, a institué une pluralité de causes du divorce. Le législateur a estimé impossible d'abolir le divorce pour faute, mais il a ajouté deux espèces de divorce par consentement mutuel, dont une seule est bien dénommée, et deux espèces de divorce pour cause objective, le divorce pour séparation prolongée des époux et le divorce pour altération grave et durable des facultés mentales d'un époux. Tel est le droit actuel.

De cette pluralité des causes, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée ne conserve que deux, une des espèces de consentement mutuel et une cause objective unique, la rupture irrémédiable du lien conjugal, expression qui dissimule en vérité un droit de répudiation

Convenait-il en 1975 de reconnaître le consentement mutuel ? Le législateur a jugé qu'il était impossible de le réfréner et qu'il fallait mieux mettre le droit en accord avec les faits plutôt que de laisser libre cours à des comédies judiciaires. Il avait été annoncé que l'admission du consentement mutuel multiplierait le nombre des divorces. Le résultat ne s'est pas fait attendre : 55836 divorces et séparations de corps prononcés en 1975, 85976 en 1981. Aujourd'hui les divorces sur requête conjointe représentent plus de la moitié. L'admission du divorce par consentement mutuel a joué le rôle d'une cheminée d'appel, suivant le mot de Planiol au début du vingtième siècle.

Le dernier obstacle disparaîtrait avec la loi nouvelle, le juge n'aurait plus à renvoyer les époux à trois mois et prononcerait le divorce dès la présentation de la demande. Si l'Assemblée n'avait voulu ménager les intérêts des avocats, elle eût vraisemblablement institué un démariage devant l'officier de l'état civil, l'acte contraire qui eût été plus simple encore,

Le divorce pour rupture de la vie commune, institué en 1975, n'a reçu qu'une assez faible application, 1251 cas en 1981 et sur ce nombre celui des divorces pour altération des facultés mentales a été pratiquement nul. Désormais le divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal subsisterait seul auprès du consentement mutuel. Le nouvel article 237 écrirait : "Le divorce peut être demandé par l'un des époux ou par les deux pour rupture irrémédiable du lien conjugal." L'office du juge est de tenter de concilier les époux sur le principe du divorce et, le cas échéant, sur ses conséquences. Il peut au mieux, pour réserver une chance de réconciliation, renvoyer la cause à une audience ultérieure entre quatre et huit mois, mais si la conciliation n'a pas lieu, il n'a pas à apprécier le caractère irrémédiable de la rupture, mais seulement à constater la persistance dans l'intention de divorcer, des époux ou de l'un d'eux. Dans ce dernier cas, il s'agit au vrai d'une dissolution du mariage par volonté unilatérale, d'une répudiation.

A la dernière minute, le législateur a voulu malgré tout laisser une petite place à la faute. Elle n'est plus une cause de divorce, mais si l'un des époux a commis "des faits d'une particulière gravité notamment des violences physiques ou morales à l'encontre de son conjoint, celui-ci pourra demander au juge de le constater dans le jugement et pourra demander des dommages intérêts". Selon la loi de 1975, le juge peut refuser de prononcer le divorce pour rupture de la vie commune, lorsqu'en raison notamment de l'âge du conjoint, de la durée du mariage ou pour les enfants des conséquences matérielles ou morales d'une exceptionnelle dureté, un tel pouvoir n'appartiendra plus au juge, qui pourra seulement accorder des dommages intérêts.

Il est peu vraisemblable que le texte définitivement adopté soit bien différent de la rédaction votée par l'Assemblée nationale. Que restera-t-il du mariage ? Une institution exigeant un consentement renouvelé constamment, un état auquel les deux conjoints peuvent convenir de mettre fin et auquel un seul peut mettre un terme. C'est le triomphe de l'individualisme. Était-il utile de donner à un tel mariage ce doublon qu'est le PACS ?

D'ores et déjà en France un mariage sur trois est dissous par le divorce, et dans la région parisienne, la proportion est de un sur deux. Les premières victimes sont les enfants. Les parents se mettent à deux pour donner la vie à un enfant, et il est nécessaire qu'ils demeurent deux pour l'élever. Les problèmes de la jeunesse sont dus, pour la plupart, à l'absence de parents, à la présence d'un seul parent, ou à la désunion des deux parents. La loi nouvelle multipliera les dislocations de ménages de parents, et le nombre de ces jeunes délaissés, tiraillés, ballotés, séparés, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, tantôt nulle part et tantôt ailleurs. Sans compter les désastres de la toxicomanie et du suicide, l'échec et les difficultés scolaires sont les conséquences de l'absence et de la désunion parentale. Et quoi qu'en dise la terminologie des sociologues à la mode, les familles ne se recomposent jamais vraiment.

Quand il se penche sur le mariage et sur le démariage, le législateur oublierait-il que la procréation et l'éducation des enfants est l'une des fins du mariage, et qu'elle est même la première ?

L'enfant objet

M. Jean Foyer, qui est aussi membre de notre Comité d'honneur, était bien placé, en tant qu'ancien garde des sceaux et en tant qu'ancien parlementaire, pour donner un avis sur la proposition de loi en cours de discussion au parlement sur le divorce.

Il a dû, m'a-t-il écrit, en nous envoyant son texte, se "retenir d'être plus violent". Cette violence, retenue ou non, est parfaitement justifiée, car elle répond aux violences faites aux enfants par notre société passée en une génération du culte (stupide) de l'enfant roi à la pratique (ignoble) de l'enfant objet.