La fragilité est ce qui fait la grandeur de l'homme

Publication : lundi 21 mai 2018 14:52

Allocution de Claire de Gatellier au colloque organisé à l'Assemblée nationale

le 21 janvier 2018 par le député Marie-France Lohro

dans le cadre des Etats-généraux de bioéthique

 

L’attention aux plus faibles est ce qui distingue l’homme de l’animal

Pour illustrer ce que représente la fragilité humaine, je vais vous rapporter un fait découvert en 1960 [par un paléontologue du nom de Solecki] sur le site de Shanidar, dans le Kurdistan irakien, concernant une dizaine de squelettes de Néanderthaliens, dont plusieurs étaient porteurs de traumatismes importants(1).

L’un d’entre eux, mort vers 40 ans, apparut très handicapé à la suite de blessures et maladies : un bras atrophié et fracturé, des difformités aux jambes et aux pieds, une fracture au visage avec écrasement de l’orbite, qui l’avaient probablement rendu borgne. Il avait, en outre, souffert de troubles neurologiques sévères. Le tout montrant des signes de cicatrisation parfaite indiquant une longue survie après ses blessures.

Or – et c’est là le miracle de l’humanité – il était impossible de survivre pour un homme dans cet état dans une société nomade vivant de cueillette. Seule l’assistance importante, attentive et continue de ses congénères peut expliquer cette survie. De plus, cet homme de Shanidar a été retrouvé avec six autres hommes ensevelis sous un lit de fleurs !

Ainsi, l’histoire de cet ancêtre de plus de 60 000 ans nous enseigne qu’à l’aube même de l’humanité, alors que ces premiers hommes nous apparaissent comme des brutes sauvages bien éloignées de notre civilisation raffinée, la caractéristique de l’homme, ce qui le distingue, dès l’origine de l’animal, c’est sa façon de prendre soin des plus faibles.

Nous voyons là l’émergence de ce qui fait l’essentiel de l’humanité. Avant même l’essor des grandes civilisations, sans avoir besoin de lois et de codes, l’homme de Shanidar montre que l’accueil du souffrant est une caractéristique de l’humanité dès l’origine. Et non seulement l’homme prend soin de ses malades, mais il se préoccupe des morts.

Sa fragilité (maladie, handicap, vieillesse,…) est ce qui fait la grandeur de l’homme beaucoup plus que sa puissance. Et l’homme n’est pleinement homme, c’est-à-dire ne se distingue de l’animal, que lorsque les forts prennent soin des faibles.  

 

La fragilité nous permet d’entrer en relation

« C’est donc quand je ne suis plus rien que je deviens un homme. » Sophocle – Œdipe à Colone

La société contemporaine semble s’échiner à gommer les fragilités sous toutes ses formes. C’est la course à l’enfant parfait, au corps idéal, aux performances en tous genres, au risque zéro. « La fragilité, qui rappelle les limites, la souffrance, la mort, est incompatible avec la jouissance, la sécurité absolue ». Et les personnes sont dites fragiles lorsqu’elles ne peuvent plus participer à la course pour la consommation. Il faut donc supprimer ceux qui sont fragiles. Or, la fragilité humanise l’autonomie : l’homme fragile a besoin des autres. C’est un être de relation.

L’homme, en reconnaissant sa vulnérabilité, reconnaît avoir besoin des autres, assume sa
dépendance. Il peut alors
découvrir la valeur du don et surtout de la gratitude. C’est l’opposé de la suffisance d’un Descartes qui ne voulait rien devoir à personne. « Nemo ante me. » Personne avant moi.

Et si justement, cette fragilité, cet état congénital de dépendance, était la source de la véritable grandeur de l’homme (2) ?

 

Le transhumanisme : une tour de Babel de la discorde ?

Le transhumanisme me rappelle ce récit ancien de la Tour de Babel ! (Gen.11_ 1-32)

« Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom afin que nous ne soyons pas dispersés sur la surface de la terre ».

C’est toujours la même vieille histoire de l’homme qui, refusant les limites et imperfections inhérentes à sa nature, veut par ses propres forces conquérir le Ciel, et se donner un nom par lui-même, c’est-à-dire être totalement maître de son existence. « Nommer », c’est créer. Il est son propre créateur et ne doit rien à personne.

On sait comment s’est terminée l’histoire…

La tour de Babel est aussi un projet d’uniformisation totalitaire« … afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre »qui risque de conduire à l’aliénation des plus faibles.

Tour de Babel ? transhumanisme ? L’apparente unité que les hommes veulent se donner par eux-mêmes ne risque-t-elle pas de devenir fusion mortifère. : Tous pareils, identiques, clônés dans un même lieu concentrationnaire. Là, quelques-uns, les plus riches, les plus forts, les plus intelligents, asserviront la multitude.

C’est l’ubris du transhumanisme qui planifie l’augmentation de quelques privilégiés rigoureusement sélectionnés sur les décombres de la massification du reste. C’est la déraison d’Icare qui, croyant s’affranchir des contraintes de la nature, s’écrase lamentablement et s’anéantit lui-même. Alors oui, on peut faire ce que l’on veut de l’être humain selon qu’il est digne de vivre ou non, utile à la volonté de puissance et à la fortune de quelques-uns, instrument docile entre les mains de ceux qui croient être les seuls à penser et à savoir.

 

(1) Dr. Xavier Le Pichon

(2) Mgr Pascal Ide affirme que la condition de l'homme, ni tout-puissant, ni négligeable, est de reconnaître sa vulnérabilité constitutionnelle, sa dépendance, et qu'il sera alors capable de " retourner la dette en don, la culpabilité en gratitude."  Selon  Pascal Ide, les psys d'aujourd'hui s'accordent à dire que l'attitude la plus gratifiante n'est pas l'amour ou le pardon mais la gratitude: "J'ai reçu pour porter des fruits."