Bonnemaison: un procès qui touche chacun de nous

Publication : mercredi 25 juin 2014 12:22

Nous publions ci-dessous, avec l’aimable autorisation de leur auteur, les notes et réflexions prises journellement au cour du procès Bonnemaison par Françoise Delclaud…jusqu’au verdict de ce matin. Ces réflexions, a priori personnelles, concernent chacun de nous et touchent au plus profond de notre conception de la personne humaine et du fondement de notre relation aux autres.

 

Préambule général:

 

Mes réflexions, après les interventions auxquelles j’ai assisté au cours de ce procès sont les suivantes :

 

- 70% des Français meurent à l’hôpital, on ne veut plus prendre en charge les mourants chez soi pour la plupart, sous des prétextes divers mais qui en réalité ne sont que l’expression de notre lâcheté, de notre égoïsme. L’hôpital a été considéré par les intervenants comme un lieu qui n’est pas accueillant pour une fin de vie.

 

-  une agonie pour les Français doit être rapide et ne pas s’éterniser, on ne supporte plus et on fuit, comme si la vie n’était ou ne devait être faite que de joies, de bonheur et non de souffrances.

 

- la mort est occultée pour ne pas dire bannie de la société, on en a peur, on ne s’occupe que des vivants et pourtant la mort fait partie de la vie comme cela a été dit à plusieurs reprises au cours de ce procès.

 

- On se décharge des derniers moments d’un mourant sur le corps médical, le médecin plus particulièrement.

 

- les études médicales ne comprennent pas ou peu la fin de vie ou les soins palliatifs, cf. le compte rendu du 18 juin, le professeur Sicard.

 

- les médecins ont osé venir devant un cour d’assises dire qu’ils avaient euthanasié ou aidé au suicide des malades alors que c’est illégal! L’avocat général s’en  est ému à plusieurs reprises, cf. le compte rendu du 19 juin, intervention du Dr Sonnet “Vous venez affirmer en cour d’assise que vous savez vous ce qui est bien même si c’est contraire aux lois. Les lois de la république s’arrêtent donc aux portes des hôpitaux pour vous !” ou le compte rendu du 20 juin, intervention de madame Delaunay “ Il est étonnant qu’un ministre de la république manifeste une divergence d’opinion avec celle de juges qui ont traduit un médecin en cour d’assises.” 

 

- il a été affirmé que les lois doivent suivre les évolutions de la société, jamais il n’a été question de la recherche du bien commun,

 

- la transgression de l’interdit est montrée comme un progrès, une modernité notamment avec la déclaration de Krouchner “il est des illégalités fécondes”

 

- des grands absents pour être interrogés sont les morts qui ne peuvent plus parler mais j’aimerais connaître leur avis :

- si mourir seul sans la présence de la famille à côté de soi, tenir la main simplement, c’est bien,

- s’ils ne se sont pas sentis abandonnés,

- si ce n’est pas une dernière violence qui leur est faite à ces derniers instants que de les laisser seuls, même s’ils ne souffrent pas physiquement, que d’avoir peur de voir ou toucher leur dépouille pour leur rendre un dernier hommage.

 

Et si en fin de compte on prenait le problème de la mort et de l’agonie par un autre bout et si on accueillait les mourants, l’agonie, la mort de manière sereine comme on le faisait autrefois, certains médecins y ont fait référence à la façon dont la mort faisait partie de la vie autrefois, Krouchner y fait référence avec l’Afrique. Je pense au livre “Les âmes fortes” de Giono, au roman “Les Thibault” et plus particulièrement “la mort du père” de Roger Martin du Gard que j’ai étudié en Français en classes préparatoire, math sup. ou “Antigone” ou” Le dialogue des Carmélites”.

 

Nous sommes dans la continuité de “mai 68”, “il est interdit d’interdire”, la recherche à tout prix du bonheur ou l’hédonisme, de l’éternelle jeunesse, l’individualisme forcené pour aboutir finalement à la solitude notamment en fin de vie, à l’heure de la mort. Il n’existe plus aucune référence à la notion du bien et du mal, de l’interdit qui s’effacent devant la recherche du bonheur. Le relativisme dénoncé par le pape Benoît XVI est présent aussi, ainsi il a été proposé de faire une loi pour légaliser l’euthanasie, l’aide active au suicide, ceux qui ne veulent pas se faire euthanasier le peuvent; au fond tout se vaut, il n’y a plus de recherche du bien commun pour une société.

Pas étonnant ensuite de voir qu’il n’y a plus d’esprit commun d’une nation, qu’elle est éclatée puisque toutes les pratiques, toutes les valeurs se valent, il est bien vu de transgresser les interdits, c’est un progrès, c’est moderne. On a une juxtaposition d’individus avec ses propres choix du moment qui peuvent d’ailleurs varier suivant l’âge de la vie, on a un émiettement de la société. On a eu la même chose avec le mariage pour tous pour lequel on a occulté les conséquences de cette loi notamment pour la filiation et donc des enfants et des générations futures.

 

Réflexion après la journée du 18 juin

Ces audiences sont très difficiles, on n’y parle que de mort, de souffrances.

Il y a du monde mais moins que les premiers jours, les spectateurs de la salle sont attentifs, essuient des larmes parfois, une jeune fille, hier matin, s’est trouvée mal mais elle est revenue l’après midi.

C’est très lourd d’entendre tous ces intervenants à la barre, quand on ressort du tribunal on a envie d’hurler à la vie pour réagir et ne pas se laisser accabler par toutes ces questions existentielles.

L’intervention de l’ADMD belge a été pénible car on sent qu’il n’a pas été dit les problèmes rencontrés quand la commission vérifie les euthanasies et que la loi n’a pas été respectée, les morts ne peuvent pas revenir, de même le dernier médecin a soulevé le problème de la prise de décision du seul médecin quand l’état de santé d’un malade s’aggrave brusquement, il décide seul et non collégialement.

J’ai été agréablement surprise par le professeur Sicard qui n’envisage que d’aménager la loi Léonetti et n’envisage que la sédation en phase terminale et non l’euthanasie ou le suicide assisté comme l’ADMD belge. Il a dit qu’il ne savait pas ce qui signifiait le droit à mourir dans la dignité, il n’a pas de définition pour la dignité.

La cour a été choquée par des déclarations faites par des témoins et a demandé l’opinion sur cette phrase au docteur Sicard et au directeur des soins palliatifs de Villejuif : “l’hôpital doit s’occuper des vivants et non de ceux qui sont morts pour la société ou affectivement”, le Pr Sicard répond qu’on ne doit pas porter de jugements sur la validité ou la valeur d’existence des personnes, même réponse pour le directeur de Villejuif. Comment des gens ont ils pu dire une pareille monstruosité en disant que l’hôpital ne doit s’occuper que des  que des vivants!!!.

 

Réflexion après la journée du 19 juin

aujourd’hui, ce sont les défenseurs de Bonnemaison, les médecins qui ont pratiqué des euthanasies et des suicides assistés qui témoignent dont le médecin qui a débranché Vincent Lambert. Il s’est fait “ramassé” par l’avocat général. La cour semble être très critique vis à vis de tous ces défenseurs de Bonnemaison y compris le président de la cour.

Pour moi, chrétienne, il y a un grand absent, c’est Dieu, même si aujourd’hui un professeur a parlé du bon centurion qui a planté sa lance dans le cœur de Jésus pour s’assurer qu’il était mort ou qu’un autre a comparé les médecins qui obéissent à la loi à des pétainistes et ceux qui désobéissent à des gaullistes, différence entre droit (Pétain) et devoir (de Gaulle)!!!  Il y a l’absence criante de la notion du bien et du mal.

Etonnant, aucun membre du clergé n’assiste à ce procès alors que la défense de Bonnemaison espère faire passer dans l’opinion l’euthanasie et l’aide au suicide! Heureusement qu’il y a des laïcs pour suivre ce procès et remonter les compte rendus à Alliance Vita, la Manif pour tous et les Veilleurs!

 

Réflexion après la journée du 20 juin

Beaucoup de monde dans les deux salles, certains sont assis par terre.

J’ ai assisté ce matin à un véritable numéro d'acteur de Krouchner au procès Bonnemaison. Le plus grave c'est qu'il fut très applaudi par les salles d'audience à plusieurs reprises et à sa sortie. Des manifestants vêtus de blouse blanche manifestaient devant le tribunal à l’occasion de la venue de Krouchner. Je pense que les deux salles d’audience sont remplies de militants de l’ADMD.

 Krouchner a commencé sur le ton de la contrition : “je suis témoin responsable de ces évènements”, pour ensuite nous dire qu’il a été à l’origine de Médecins du monde (il se pose du point vue social), qu’il a travaillé avec l’abbé Pierre (comme cela on se rallie les cathos).

Il nous a vanté les mérites du suicide assisté, tout y était pour manipuler l'opinion. On est en plein relativisme dénoncé par le pape Benoît XVI, on doit pouvoir faire ce qu'on veut d'après Krouchner c'est à dire le suicide assisté ou pas si on est religieux. Les lois doivent accompagner les évolutions de la société.

Il a fini par déclarer que les religions n’avaient pas leur place dans les hôpitaux.

C’était tellement du théâtre qu’il nous a fait son numéro d’acteur, il a bien récité son texte mais quand le Président du jury ou l’avocat général ou la défense lui ont posé des questions, il a répondu à côté ou mal, il n’avait plus de texte préparé à réciter.

 

Il n'y a plus de notion de bien et de mal, d'interdit et cela de manière criante. "Je fais ce que je veux".

 

Le verdict

Ce matin j’étais à la lecture du verdict, le docteur Bonnemaison est acquitté, nous avons attendu un peu plus de 2 heures pour les délibérés. Un tonnerre d’applaudissement dans les deux salles. Je vais faire un compte rendu car les journaux télévisés ont tronqué le jugement du président.

Je suis allée voir les infirmières qui étaient à la source de l’accusation du docteur Bonnemaison, elles étaient attéerrées, je leur ai manifesté mon soutien. En repartant, j’ai vu cachée de l’entrée une femme de la partie civile, appuyée sur le mur du tribunal qui pleurait.