Politique familiale :les raisons d’un triple échec

Publication : mercredi 13 décembre 2017 21:24

 

Le rapport de la Cour des Comptes sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, rendu public le 17 septembre dernier, fournit un bon support pour comprendre où en est la politique familiale aujourd’hui et où elle va.

  

La Cour rappelle les trois objectifs assignés à la politique familiale :   contribuer à la compensation financière des charges de famille;  aider les familles vulnérables; concilier vie familiale et vie professionnelle

 Une « mutation historique de la politique familiale »

  En ce qui concerne la première mission : « contribuer à la compensation financière des charges de famille », il faut souligner le côté très restrictif de cette compensation à cause du « ciblage » dont il est question tout au long du rapport. En effet, contrairement à l’universalité qui était prévue à l’origine c’est à dire destinée à toutes les familles, cette compensation financière a été peu à peu –et  est maintenant presque totalement- retirée aux familles dépassant un plafond de ressources sans cesse abaissé. Alors que ce sont celles-là même qui financent la politique familiale par leurs cotisations et impôts et dont les enfants continueront probablement à assurer ce financement.

 Selon l’humour clairvoyant de Michel Audiard, « les assurances sociales ont été créées pour deux classes d’individu distinctes, deux catégories résolument étanches : ceux qui cotisent et ceux qui touchent. Les épongés et les épongeurs ».

 La Cour constate qu’à la suite des réformes du précédent quinquennat,  dans la configuration la plus fréquente, soit celle d’un couple avec deux enfants, dès le deuxième quintile, « la proportion des perdants dépasse celle des gagnants, ce qui souligne à nouveau, [dit-elle] la concentration des bénéficiaires des réformes sur les familles à plus faible niveau de vie ».

La Cour reconnait implicitement qu’on a remplacé la politique familiale par une politique sociale et redistributive : « politique familiale reconfigurée, à partir de 2012, dans le sens d’une redistribution nettement accrue entre les familles », « mutation historique de la politique familiale »,  « transfert massif entre les familles », « importante redistribution au bénéfice des familles monoparentales et des familles nombreuses à faibles revenus en défaveur de celles à revenus élevés », « transfert des familles ayant le niveau de vie le plus élevé, d’autant plus important qu’elles sont nombreuses » vers les autres. On ne peut pas reconnaître plus clairement qu’il n’y a plus de politique familiale.

Et pourtant, La Cour cite une étude internationale récente qui ne trouve justement « pas de corrélation » entre redistribution et réduction des inégalités. Elle trouve même « une corrélation négative » (p. 519)

 La pauvreté c’est d’abord la conséquence de la crise des familles.

 En suivant la même logique, nous verrons tôt ou tard instituer aussi un plafond de ressources au-dessus duquel nul ne pourra prétendre aux remboursements de soins ou à une retraite tout en continuant à être mis à contribution au bénéfice des moins bien lotis.

 On peut ainsi dire que la politique familiale française tourne le dos à sa première mission, contribuer à la compensation financière des charges de famille au profit de la seconde : Aider les familles vulnérables. Le soutien apporté aux familles les plus démunies est une excellente chose et la France peut s’enorgueillir d’une grande variété d’allocations en tous genres.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2018

Actuellement discuté au Parlement

Fort des encouragements de la Cour des comptes, le PLFSS continue de plus belle à dépouiller les familles.

Suivant les recommandations de la Cour, le PLFSS prévoit de faire financer par les familles aux revenus plus élevés, les augmentations des prestations des autres :

 

• Mettre sous plafond de ressources la prime à la naissance

 • Abaisser les plafonds de ressources pour les aligner sur le plus bas, celui du Complément familial (destiné aux familles nombreuses)

 

 Avec les économies ainsi réalisées,

 • Augmenter l’allocation de base de la Prime à la naissance (sous condition de ressources)

 • Augmentation de 30% de la CMG (Complément du Libre choix du mode de garde) (sous condition de ressources)

 • Augmentation de l’allocation de soutien familial (familles mono-parentales, veufs et veuves)

 

La Cour fait une autre recommandation qui n’a pas encore été reprise dans le PLFSS 2018, il s’agit de l’obligation de choisir entre allocations familiales et quotient familial. Ce sera pour demain. Pour ne pas cumuler les avantages, dit-on. Rappelons que le quotient familial n’est nullement un « avantage » mais seulement la façon la plus exacte de proportionner le taux d’imposition au niveau de vie. Un revenu n’assure pas le même niveau de vie s’il doit faire vivre cinq personnes ou même trois au lieu d’une seule.

 

Ce que la Cour reconnait clairement en précisant « qu’à ce titre, il n’est pas recensé parmi les dépenses fiscales bénéficiant aux ménages ».

Cette politique serait meilleure encore si elle s’interrogeait sur les causes de cette pauvreté : constater que les familles les plus en difficulté sont les familles monoparentales en augmentation constante (près d’une famille sur cinq) et feindre de ne voir aucune différence entre les divers « types de configurations familiales », cela pourrait presque s’appeler de la non-assistance à personne en danger. Même si ces familles sont aidées après coup, car le mal est fait.

 Une politique familiale qui, en même temps qu’elle aiderait financièrement les familles en difficulté, valoriserait le mariage et sa pérennité dans l’engagement du couple, au moins le temps de l’éducation des enfants, éviterait en amont des situations effectivement catastrophiques. Le récent rapport du Secours Catholique met en évidence le fait que « 60% des personnes accueillies déclarent n’avoir aucun proche sur qui compter ». Il ajoute : « La pauvreté c’est d’abord la crise des familles ».

 “Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes.” (Bossuet)

 La culture dominante sait bien mobiliser, de façon parfois très autoritaire, contre ce qui serait mauvais dans des domaines comme la santé, la sécurité routière, la façon de penser ou de s’exprimer. Au lieu de banaliser sans cesse davantage les comportements qui fragilisent la famille et mettent les enfants dans des situations insupportables, l’Etat aurait une politique familiale plus cohérente et rendrait service aux familles en restaurant l’image de la famille unie (père, mère, enfants), de la femme (au lieu d’en faire un ventre à louer ou un produit d’appel pour vendre des yaourts), de l’homme (qui n’est pas qu’un « porc » à « balancer », macho qu’il faut envoyer à la vaisselle ou à l’aspirateur), de l’enfant, un innocent qui ne demande qu’à vivre et être aimé, petit chaperon rouge que se déchirent les dents aiguisées des idéologues et des corrupteurs du Marché sur fond de mésentente de leurs parents.

 En ayant cela en tête, les politiques publiques cesseraient de créer elles-mêmes le désordre auquel elles doivent ensuite remédier.

L’autre catégorie des familles vulnérables signalée par le rapport de la Cour des comptes est celle des familles nombreuses. La Cour observe qu’elles sont les grandes perdantes: « A niveau de vie équivalent, les réformes induisent des « pertes » beaucoup plus élevées pour les familles nombreuses que pour les autres ». Celles qui malgré tout sont « gagnantes » sont celles qui ont les plus bas revenus. Elles sont pour beaucoup issues de l’immigration. En l’état actuel des choses, il y en a donc toujours plus.

La cohorte croissante des enfants maltraités dans leur famille

 Si la pauvreté économique des familles est à l’évidence un appel à l’aide à prendre très au sérieux, il ne faudrait pas méconnaître la cohorte croissante des enfants maltraités dans leur famille. Il faut aller voir ce qu’il en est dans les services de protection de l’enfance qui essaient de sauver des milliers d’enfants esquintés trop souvent pour la vie. Ils ne sont que des enfants et sont déjà effroyablement abîmés, victimes d’une autre sorte de pauvreté, qui souvent se conjugue avec la première : la dislocation des familles, la pornographie érigée en art, l’industrie du sexe qui veut étendre son marché aux enfants, avec la complicité des « élites » par les « Droits sexuels des enfants ». Pendant ce temps, le Défenseur des droits se préoccupe de faire interdire la fessée et on oriente le projecteur vers … les grands-parents, si nuisibles aux enfants parce qu’ils les bourrent de sucreries!

  Une politique familiale cohérente devrait se soucier de cette grande pauvreté-là, en lien avec les autres services de l’Etat.

Pour la troisième mission, et bien que dans ce domaine la France occupe un assez bon rang au sein de l’Union Européenne, la Cour des comptes titre « Des objectifs non atteints en matière de conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle ». Elle parle même de « résultats médiocres ». Objectif de solutions d’accueil des jeunes enfants très loin d’être atteint et même, baisse des solutions de garde. On n’atteindrait pas le cinquième de l’objectif escompté, jusque dans les zones REP et REP+, pourtant prioritaires.

La Cour évoque « Le caractère massif des transferts entre les familles (…) sans que puissent par ailleurs être constatés des résultats à hauteur des ambitions en matière de développement des offres d’accueil des enfants en bas âge que les économies réalisées devaient permettre de financer »(p. 492).

 Le plus emblématique est l’échec de la Prestation partagée d’éducation de l’enfant (PREPARÉE) qui a remplacé, en le réduisant au profit du père, le congé parental. Si celui-ci ne le prend pas, ce congé est perdu. Comme c’était prévisible, les pères, qui ont encore majoritairement le revenu le plus élevé du ménage, n’ont pas pu ou pas voulu interrompre leur carrière à l’occasion d’une naissance et cette réforme s’est traduite par « une forte réduction du recours à cette prestation ». Tant pis pour les mères… et pour les enfants.

 « La tentative de partage du congé parental (…) n’a pas eu l’effet escompté […] Quant au taux d’emploi des femmes […] il s’inscrit plutôt à la baisse, à rebours de l’effet recherché.(1)

 Que la Cour des comptes, qui par définition ne voit les choses que sous l’angle des chiffres, n’ait d’autres préconisations pour remédier à ce triple échec que toujours plus de redistribution, c’est bien regrettable, mais l’on aimerait surtout que les politiques publiques aient un peu plus d’imagination.

 Le rapport s’inspire beaucoup, dit-il, de ce qui se fait à l’étranger. Encore faut-il prendre les bons modèles. (Cf. notre Livre Blanc pour comprendre les critères d’une bonne politique familiale).

L’exemple de la Hongrie

 La Cour des comptes et le PLFSS prennent comme étalons le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark, la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, les Pays-Bas, l’Espagne, le Canada et les Etats-Unis.(2)

 Ils ne regardent pas ce qui se passe en Hongrie, en Pologne, en Russie, en Estonie.

 Nous ne portons pas ici de jugement sur le gouvernement de ces Etats et nous nous attacherons seulement à leur politique familiale.

Les pays de l’Europe de l’Est nous ont juste précédés dans un « suicide démographique » qui condamnait à terme la survie de l’indépendance de leur nation. Considérant que la prospérité économique et la paix sociale étaient également dépendantes du bien-être des familles, ils ont fait de la politique familiale une priorité nationale.

 Nous nous arrêterons ici uniquement sur le cas de la Hongrie qui consacre 4,7% de son PIB à la politique familiale (contre 2,55% pour la moyenne de l’OCDE et 2,7% pour la France).

L’un des premiers  objectifs que s’est donné la Hongrie est qu’aucun désir d’enfant ne soit contrecarré pour des raisons financières ou d’emploi. Comme 1/3 seulement de désirs d’enfants se réalisaient, il fallait réhabiliter, culturellement, le désir d’enfant et permettre, financièrement, leur éducation. 

Ce n’est pas une politique nataliste. C’est une politique familiale. Car le but n’est pas d’avoir beaucoup d’enfants qui seraient ensuite élevés par et pour l’Etat. Le Bien commun suppose que les enfants soient élevés par leurs parents dans une atmosphère familiale paisible qui leur permettre de grandir et de devenir des citoyens capables de s’insérer dans la société pour leur épanouissement personnel et le bien de tous.

 La Hongrie a donc inscrit dans sa constitution en 2010 que la famille repose sur l’institution du mariage homme/femme et qu’elle encourage officiellement les naissances.

Pour commencer, les politiques publiques ont valorisé l’engagement dans le mariage en instaurant une « journée de la famille » célébrée chaque année officiellement par une grande fête au Parlement, ouverte au public. Cette manifestation symbolique et culturelle est doublée d’un encouragement financier sous la forme d’un allègement d’impôt pendant deux ans pour tout couple dont l’un des deux au moins se marie pour la première fois.

 Ensuite, refusant de lier la pauvreté au fait d’avoir des enfants, la Hongrie a séparé, institutionnellement, affaires familiales et affaires sociales même s’il y a bien sûr liens et concertation entre les deux. Elle insiste sur la nécessaire coordination de la politique familiale avec les autres politiques publiques dans un souci de cohérence, allant même jusqu’à décider que lors de discussions sur le budget national, le soutien et les incidences sur les familles doivent être prioritaires.

 Comme en France, ce sont les familles nombreuses et les familles monoparentales qui sont les plus exposées au risque de pauvreté. En 2014, 50% des unes et 60% des autres. Les politiques familiales et sociales hongroises, par un soutien comparable à celui de la France, ont déjà réussi à faire baisser en 2 ans le taux de pauvreté de ces familles d’environ 7 points.

 Mais la famille étant une priorité nationale, cette politique a été le fait d’un effort national et non d’une redistribution entre familles « riches » et familles « pauvres » comme en France. Toutes les familles continuent d’être aidées car la nation reconnaît avoir besoin de toutes, quel que soit leur niveau de vie.

Hongrie :

des résultats qui donnent à réfléchir

Entre 2010 et 2016, malgré 12% de moins de femmes en âge de procréer (à cause du déficit des années antérieures)

 L’ICF  (indicateur conjoncturel de fécondité) est passé de 1,2 en 2011 à 1,4 en 2015

 Les naissances  ont augmenté de 3%, dont 1,50% la dernière année.

 Le nombre de mariages qui avait baissé de 23% de 2002 à 2010 a augmenté de 30% de 2010 à 2015.

 Parallèlement, les divorces   ont diminué de 3,5% en 2016 par rapport à 2015, soit 18% de moins qu’en 2010.

 On a dénombré 25% de moins d’avortements en 2016 qu’en 2010.

Concilier famille et travail

 L’effort gouvernemental hongrois porte aussi sur la réconciliation entre travail et disponibilité familiale : Avoir des enfants – les élever – participer au marché du travail. Encouragements financiers et fiscaux pour ceux qui emploient des parents de jeunes enfants, flexibilité de l’emploi et temps partiel encouragé, développement des modes de garde, congé parental de 2 à 7 jours par année pour chacun des deux parents, indemnisation pour absence à cause d’enfant malade de l’un ou l’autre parent.

 L’aide à la réinsertion des mères de famille sur le marché du travail est également significative. Celles-ci font partie des quatre groupes considérés comme « fragiles sur le marché du travail » et à ce titre, éligibles à des allocations ou priorités : les moins de 25 ans, les plus de 55 ans, les chômeurs de longue durée et les mères de famille.

 Depuis 2010, 25% de plus de mères de très jeunes enfants ont ainsi retrouvé un emploi et 18% de plus de mères de famille nombreuse. Evidemment, nous aurions sans doute préféré, à Famille et Liberté, qu’elles soient plutôt aidées à élever leurs enfants elles-mêmes au foyer si elles le désirent, mais au moins l’Europe ne pourra rien reprocher à la Hongrie sur ce point ! Nous ne partageons pas forcément non plus l’enthousiasme de la Hongrie pour la scolarisation précoce et obligatoire des enfants, même si nous saluons leur volonté de promouvoir un corps enseignant plus qualifié et mieux payé. Cette scolarisation obligatoire, vivement critiquée par l’association des familles nombreuses de Hongrie a d’ailleurs fait l’objet de sérieux accommodements.

 Toutes ces mesures (et bien d’autres que nous n’avons pu détailler) ont produit assez rapidement du fruit (voir l’encadré). Mais pour cela il fallait garantir aux familles une continuité dans cette volonté de les aider. Un certain nombre de mesures prudentes ont ainsi été prises et inscrites dans le Cardinal Act :

 • Il faut une majorité des deux tiers à l’As-semblée pour changer quelque chose à la politique familiale

 • En cas de changement de majorité défa-vorable à la famille, pendant une période de douze mois, rien ne doit changer en ce domaine

 • Lors de discussions sur le budget national, le soutien aux familles doit être prioritaire

La France a longtemps été un modèle envié alentour pour sa politique familiale. Il semble que nous ayons maintenant des leçons à recevoir de nations plus lucides que la nôtre.

 

Claire de Gatellier

 (1) Pour savoir ce que nous en pensons, lire Les Femmes au travail…à tout prix ?   Famille et Liberté  - 10

(2) Tous pays qui affichent une démographie à la baisse