Politique familiale : du pourquoi au comment

Publication : lundi 20 octobre 2014 13:14

L’Élysée vient de trancher : les allocations familiales seront divisées par deux pour les « riches » (avec deux enfants, 6 000 € par mois ou plus,) et par quatre pour les « très riches » (8 000 € ou plus).

En revanche, certaines des économies qui avaient été annoncées sont annulées : l’âge de la majoration des allocs ne sera pas relevé de 14 à 16 ans ; la prime de naissance ne sera pas divisée par trois à partir du second enfant. Donc, sauf nouveau changement de cap d’ici le vote de la loi, les allocations familiales deviendront dégressives en fonction du revenu.

 

 

Cette dégressivité satisfait ceux qui considèrent les prestations familiales comme une aide aux familles : dans cette perspective, il est exact que les « riches » n’ont pas besoin de prestations, et que celles-ci devraient être inversement proportionnelles au revenu. C’est un point de vue qui n’est pas spécifiquement de gauche : beaucoup de personnes votant à droite le partagent ; et j’ai souvent entendu des chefs d’entreprise ou des cadres dirigeants expliquer qu’ils n’avaient rien à faire de cette sorte d’aumône que sont à leurs yeux les allocs. Ces mêmes personnes proposent souvent le remplacement des cotisations famille par l’impôt, estimant que ces prestations ne sont pas « contributives », ne couvrent pas un risque, et n’ont donc pas à être financées comme des prestations d’assurance.

De telles réactions, tout autant que la décision d’un président de la République, rendent nécessaire une très sérieuse mise au point. Car elles montrent que bon nombre de nos concitoyens, impressionnés par l’idéologie ambiante relative à la protection sociale, n’ont aucune idée des fonctions économiques remplies vaille que vaille par ce fatras d’institutions, de leur complémentarité vis-à-vis du marché, ni de l’utilité qu’il y aurait à les réformer en profondeur pour les rendre favorables, et non plus nuisibles, à l’économie d’échange et de liberté. Revenons donc à l’essentiel.

La société se renouvelle avec la succession des générations. Elle se compose de producteurs en activité, de futurs producteurs, et d’anciens producteurs. Son problème économique numéro un est de réussir à disposer de futurs producteurs suffisants en nombre et en qualité pour remplacer au fur et à mesure les actifs dont la contribution s’amenuise ou devient nulle. Le désir devenu commun de disposer en fin de vie de longs congés payés (appelés retraites) rend encore plus nécessaire une activité soutenue d’investissement dans la jeunesse, car ce sont les jeunes d’aujourd’hui qui seront les producteurs de demain, seuls capables de procurer à leurs aînés une vieillesse à la fois oisive et confortable.

Les échanges entre générations successives constituent donc une dimension essentielle de nos économies. Grosso modo, à chaque instant les actifs investissent dans la jeunesse et payent à leurs aînés retraités un dividende (appelé pension) correspondant à l’usage qu’ils font du capital humain dont les dits aînés leur ont antérieurement financé l’accumulation. La sécurité sociale est chargée d’organiser efficacement et équitablement cet échange entre générations successives. Elle fonctionne comme un gigantesque fonds de pension qui, au lieu d’investir dans du capital classique, investit dans le capital humain. Son importance est très supérieure à celle de l’ensemble des fonds de pension classiques car le capital humain, dans lequel elle investit, représente grosso modo deux ou trois fois plus que le capital physique. Bien entendu, elle ne dispose pas de droits de propriété – l’esclavage est fort heureusement exclu – mais de droits spécifiques sur une partie de la production réalisée grâce au travail des actifs. Cela signifie, soit dit en passant, que les systèmes de retraites par répartition doivent disposer uniquement de droits sur les revenus du travail : leur attribuer le produit d’impôts sur le capital constitue simplement l’une des illustrations du méli-mélo intellectuel qui sévit dans les sphères politiques.

Pour récolter il faut préalablement semer : tel est (ou devrait être) le fondement de la politique familiale. Car moissonner où l’on n’a pas semé est une infraction caractérisée à la règle de base de l’échange civilisé ; si bien que percevoir une pension sans avoir contribué à l’investissement dans la jeunesse est une forme de vol.

Comme tout le monde n’a pas le même nombre d’enfants, il est pratique et équitable que ceux qui n’en ont pas ou qui en ont moins participent à l’entretien et à la formation de ceux qui en élèvent plus que la moyenne. Ajoutons à cette péréquation de base celle qui est utile entre les périodes de la vie active où l’on n’a pas encore, ou plus, d’enfant à charge, et celles où le nid regorge de becs affamés, et nous avons les principes de base de la politique familiale : faire financer l’investissement dans les jeunes générations par tous les actifs en cherchant à tenir compte le mieux possible des réalités. Bien entendu, il faudrait aussi que les pensions soient exclusivement accordées au prorata des contributions apportées à cet investissement ; c’est là une composante essentielle de la politique familiale, qui doit d’autant plus être présente à l’esprit que nos institutions sociales la bafouent en long, en large et en travers.

Revenons aux prestations familiales. Dans un système bien conçu, elles pourraient constituer un droit sans que leur perception soit obligatoire. Expliquons-nous en nous référant à un couple dont les deux membres, gagnant super bien leur vie, n’ont aucun besoin de prestations pour élever leurs trois petiots dans de bonnes conditions : dans un système intelligent, il pourrait dire « non merci » et se voir attribuer à la place des points de pension. Inversement, le couple qui galère avec un seul salaire pour nourrir ses cinq enfants, sachant que ses responsabilités éducatives lui valent déjà un paquet de points, serait très à l’aise pour recevoir des allocations conséquentes. Ce ne sont là que des exemples très schématiques, destinés à montrer que l’on pourrait proposer aux Français, avec un peu de bon sens et d’imagination, une politique familiale souple, personnalisée, débarrassée de toute rigidité bureaucratique et fondamentalement équitable, mais à une condition : comprendre comment les choses fonctionnent vraiment, dépasser les faux-semblants administratifs et les inepties juridiques, si nombreuses dans le domaine social.

Tel est l’enjeu d’une réforme, non pas des prestations familiales, non pas des retraites, mais des échanges entre générations successives. Au lieu de pédaler dans la choucroute, le nez dans le guidon, comme le font nos dirigeants, nous pourrions construire une protection sociale libérale, respectueuse des libertés et du principe de subsidiarité (c’est-à-dire laissant un maximum de choix aux familles), fondamentalement équitable au lieu d’être systématiquement et obscurément redistributrice, ne faisant pas passer pour des aides ce qui est une forme sophistiquée d’échange non marchand. S’il se mettait au clair sur le « pourquoi ? », le législateur pourrait mettre en place un « comment » qui ressemblerait à autre chose qu’au malheureux quadrupède dessiné par un comité sur lequel sont actuellement juchées les familles de notre pays.

Que cesse la valse-hésitation entre différentes formes de réduction des prestations familiales, qui ont en commun d’être inspirées par des idéologies et non par la recherche de l’équité, du réalisme et de la liberté ; que vienne enfin le temps des vraies réformes, celles qui se basent sur une analyse correcte du pourquoi et du comment !

Jacques Bichot