L'incontournable tryptique Retraites / Démographie / Politique Familiale

Publication : mercredi 24 juillet 2019 15:08

L'incontournable trytique Retraites/Démographie / Politique familiale

En juillet Jean-Paul Delevoye, chargé de mener à bien, avec l’assistance du COR (Conseil d’Orientation des Retraites), l’une des promesses phares du candidat Macron, dévoilera ses propositions pour la réforme des retraites. Depuis plusieurs semaines, les titres des journaux, reprenant les récentes analyses du COR alertent sur une nouvelle dérive des projections : l’équilibre du système prévu pour 2036 devra attendre 2042 ou même 2056. La réforme d’Eric Woerth sous Fillon avait au moins gagné du temps mais le vieillissement de la population – allongement de l’espérance de vie et non-renouvellement des générations à cause d’une crise sévère de la natalité -  rendent aujourd’hui nécessaire une réforme en profondeur. Après les réformes paramétriques (âge, durée de cotisation, niveau de prélèvement) on nous annonce une réforme systémique (refonte complète du système : universalité, points…).

 

Le système par répartition, comme nous allons le voir, a montré ses limites et la génération suivante ne pourra pas se passer d’un complément de retraite par capitalisation. Néanmoins nous aborderons ici  la réforme des retraites uniquement sous l’angle du système par répartition, telle qu’elle est envisagée par la mission Delevoye.

 

Le fond du problème de la retraite par répartition, c’est qu’il faut bien comprendre qu’en cotisant pour les retraites, nul n’épargne pour sa retraite. Les cotisations d’aujourd’hui financent les retraites d’aujourd’hui, des autres donc. Par quoi seront financées demain les retraites des actifs d’aujourd’hui ? Par la générosité bon gré, mal gré, des enfants d’aujourd’hui, actifs demain

 

Ce système trouve aujourd’hui ses limites : alors qu’en 1960 on comptait 4 actifs pour 1 retraité, il n’y a plus qu’1,7 actif pour 1 retraité en 2018, et l’on en prévoit 1,3 en 2070. Cela veut dire qu’en plus d’assurer sa propre existence et  celle de sa famille, un actif aujourd’hui est censé financer en plus 59% de la retraite d’un ancien (1/1,7). Tout en sachant que lui n’aura probablement pas grand-chose lorsque son tour viendra. Une charge insupportable. Pour les cotisants mais aussi pour les retraités : le montant total des pensions  (de base + complémentaire) pour un cadre du privé est aujourd’hui inférieur de 42% au montant de ses derniers revenus d’activité. 48% en 2040 selon les projections les plus optimistes. Un million de retraités vivent avec moins de 1000€ par mois.

 

Quelques indices sur la réforme confiée au Haut-Commissaire Delevoye ont commencé à poindre.

 

Unification du système

 

La réforme la plus emblématique est le projet de système universel  censé remplacer les quarante-deux régimes particuliers. Mesure de bon sens, réclamée depuis longtemps, mettant fin à ce qui est ressenti par ceux qui n’en ont pas, comme des privilèges divers, et par ceux qui en bénéficient, comme un dû parfaitement justifié par des conditions de travail très diverses. Mesure de bon sens surtout vue sous l’angle d’une simplification colossale, source d’économies de frais de gestion et d’une plus grande lisibilité et facilité d’accès pour les ayants-droit. A condition qu’elle soit bien menée et qu’elle ne dérive pas en cheval de Troie d’un monopole étatique, pas supplémentaire vers la société totalitaire qui point aujourd’hui.

 

Il ne faudrait en outre pas feindre d’ignorer le formidable hold-up qui préluderait à cette réforme d’unification : des exemples plus ou moins récents ( transfert des charges de l’Assurance Vieillesse pour Parents au Foyer ou de la Majoration de Pension pour Familles Nombreuses  à la Caisse des Allocations Familiales ou  rattachement en 2005 de la caisse de retraite d’EDF à la CNAV qui a permis de renflouer les retraites du premier par les provisions du second), permettent de redouter, sans grande imagination, la tentation de l’Etat de répéter ces hold-up à plus grande échelle.

 

Dans la multiplicité des régimes, certaines caisses étaient à l’évidence mieux gérées que d’autres. Les caisses des professions libérales, déjà passées au système de points et assez prévoyantes pour avoir provisionné pendant les bonnes années de quoi faire face aux aléas démographiques et économiques futurs iraient maintenant combler les déficits des autres[1]. Une fois la caisse de retraite unifiée, remise à flot par le piratage des fourmis par les cigales, tout pourrait recommencer c’est-à-dire que les cigales (renflouées par les fourmis) continueraient à gérer comme après le hold-up de 2005, se contentant de petites réformes sans vision à long terme. Autrement dit, dans la grande caisse nationale unifiée, toutes les fourmis seraient alors régies par les cigales.

 

À moins que… sous la pression de la réalité la cigale se fasse fourmi et envisage une réforme en profondeur de l’assurance retraite. C’est la mission Delevoye, assistée du COR.

 

Celle-ci annonce un système par points que pratiquent déjà certaines caisses. Selon la formule de Macron : Chaque euro cotisé donne les mêmes droits pour tous.

 

Cette formule séduisante sera-t-elle appliquée au pied de la lettre ? Ou bien conservera-t-on l’attribution de points, comme nous le souhaitons, pour enfant élevé, justifié par la nécessité de renouveler les générations et donc, de reconnaître et stimuler le service rendu par la mise au monde et l’éducation des enfants.

 

Jacques Bichot, professeur d’économie spécialiste des retraites et déjà cité, distingue deux façons d’investir dans la jeunesse et d’obtenir ainsi des droits à pension (des points) : l’une en mettant des enfants au monde et en les élevant, l’autre à travers une cotisation famille destinées à financer tout ce qui touche à l’enfance et à l’éducation (école, santé des enfants, maternité, etc.) et dans laquelle les gens seraient libres d’investir plus ou moins.

 

Mais la tentation sera grande de multiplier les attributions de points en compensation de « privilèges » perdus dans cette réforme unificatrice…

 

Tout repose sur le ratio cotisants / retraités

 

Si tout trimestre cotisé donnait droit à un certain nombre de points, l’évolution de la valeur du point est une autre histoire…

 

Mettre tout le monde à la même enseigne et convertir les droits à la retraite en un nombre de points acquis par les cotisations plutôt que les asseoir sur les derniers ou avant-derniers salaires influera sur le partage des droits mais pas sur la somme à partager. Dans un premier temps, le hold-up sur les meilleures caisses de retraite viendra remplir la caisse universelle, mais très temporairement. Pas beaucoup plus que le temps d’une élection.

 

Tout tournera alors autour de la valeur du point. Ou plutôt, pour avoir de la valeur, ce point doit être gagé par des réserves sûres. Comme la monnaie qui n’a de valeur que s’il y a des richesses derrière.

 

Ce qui nous ramène à la question fondamentale souvent soulignée par Famille et Liberté: dans le système par répartition, le montant des retraites, et donc la valeur du point, est étroitement liée à la proportion entre retraités et cotisants. Aujourd’hui, 24% des Français ont plus de 60 ans. En 2040, ils seront près de 40%.  

 

Deux pistes s’offrent dès lors : diminuer le nombre de retraités et/ou augmenter le nombre de cotisants.

 

Diminuer le nombre de retraités. Excluons d’emblée l’euthanasie qui ne manquera pas de venir à l’esprit de quelques-uns. Nous en avons déjà parlé[2] et aurons l’occasion d’y revenir.

 

On parle de retarder l’âge de la retraite. Cette mesure qui semble sage compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie, et même de vie en bonne santé, déclenche protestations, promesses et contre-promesses. Le débat a été habilement contourné avec l’introduction d’un âge pivot[3]  qui fait dépendre le montant de la retraite de l’âge de sa liquidation: la retraite est officiellement toujours à 62 ans mais alors vous touchez une retraite moins élevée. Ceci a l’avantage de responsabiliser les gens et de respecter leur liberté. Il est encore trop tôt pour mesurer l’effet réel de cette incitation à travailler plus longtemps[4].

 

Augmenter le nombre des cotisants.

 

Comme l’explique le professeur Bichot[5] on ne peut pas faire croire aux jeunes générations qu’elles cotisent pour préparer leur retraite. Non. En cotisant, elles assurent seulement la pension des retraités d’aujourd’hui. Leur retraite à elles sera assurée – dans le système de répartition – par les cotisations des générations suivantes.

 

Les travaux du COR semblent indiquer que la réforme envisagée entende faire évoluer la valeur du point retraite selon les indicateurs démographiques : indice conjoncturel de fécondité,  migrations, chômage. C’est enfin une reconnaissance officielle de la réalité : nos retraites dépendront avant tout de l’évolution démographique de notre pays. Cette prise de conscience est une condition nécessaire mais pas suffisante pour garantir des retraites décentes à nos descendants.

 

Reconnaître que le montant des retraites dépendra de la démographie du moment ne suffit pas. Ou alors il faut se résigner -l’effondrement démographique étant maintenant avéré -  à renoncer à garantir des retraites décentes ou à augmenter de façon insupportable les taux de cotisation.

 

La fécondité et les migrations sont les deux composantes de la démographie. Depuis de nombreuses décennies, nos intellectuels de gauche nous ont assuré que les immigrés paieraient nos retraites, mais comme le relève Yves Mamou[6], « quarante ans d’immigration continue n’ont en rien atténué le problème ». Il ajoute : « l’Etat a su budgéter environ 5 milliards d’euros pour financer l’immigration mais cherche désespérément une somme équivalente pour financer les retraites auxquelles ces mêmes immigrés sont censés contribuer ».

 

Cette charge que représentent les immigrés dans le budget national a été admise par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, devant la commission des finances du Sénat, le 6 novembre 2018 : « Notre pays demeure soumis à une pression migratoire intense, évolutive [comprendre : en augmentation constante]. Cet effet de rebond ou de transfert des demandeurs d’asile depuis les pays voisins, que nous constatons aujourd’hui, a vocation à être limité par la diminution du nombre de migrants entrant dans ces Etats. C’est le pari que nous faisons. » Ceci revient à dire lorsqu’il y a le feu : le feu s’arrêtera tout seul lorsqu’il n’y aura plus rien à brûler. Attendons donc tranquillement ! 

 

Pour compléter la balance quand on parle de migration il faudrait  aussi tenir compte de la somme des cotisations qui échappent à la France du fait de l’émigration de tant de diplômés.

 

Il faut donc renoncer à l’idée selon laquelle les migrations remplaceraient les berceaux. Reste la fécondité.

 

 

La crise démographique où s’enfonce à son tour la France a été longtemps niée alors même que des voix autorisées comme Alfred Sauvy[7] depuis 1979 et ensuite Jean Dupâquier, Jean Legrand et aujourd’hui Gérard-François Dumont l’ont décrite et annoncée. Un peu tard (trop tard ?) cette crise est enfin reconnue. En 2018, 758 000 naissances, soit 12 000 de moins qu’en 2017 et 60 000 de moins qu’en 2014.

 

Quelle que soit l’imagination des politiciens et des commissions, le grave problème des retraites sera différé mais ne saurait être résolu sans un rebond démographique obtenu par une vigoureuse  politique familiale qui a déjà fait ses preuves en France dans le passé et qui les fait aujourd’hui dans d’autres pays. Mais selon Natacha Polony, « l'absence totale de réflexion sur la démographie comme phénomène économique et politique s'explique par le nombre incalculable de tabous qui transforment cette discipline en champ de mines […] Le fait que 48 % des Français nourrissent une méfiance hallucinante vis-à-vis de leurs élites autour des questions démographiques ne semble recueillir qu'indignation et sarcasmes.» (Figaro Vox 19/01/2018).

 

Cette prise en compte de la part centrale de la démographie dans le problème des retraites nous amène à insister sur la nécessité au minimum de conserver, voire de restaurer ou de créer des « droits familiaux » à la fois incitation et reconnaissance de l’investissement pour la jeunesse, indispensable pour financer les futures retraites. Ce point a été fort bien développé dans le petit livre sur les retraites du Professeur Bichot[8]. Il est normal de faire en sorte que les pères et mères ne soient pas pénalisés pour leur retraite par la naissance, l'adoption, l'éducation de leurs enfants, investissement qui profitera à toute la société.  . Le cas de la pension de réversion est crucial aussi. Nous y consacrons un article à part.

 

                                                                                                                                                  Claire de Gatellier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[2] Communication de Jean-Marie Schmitz au CCNE. LETTRE n°92  de Famille et Liberté

[3] Annoncée aujourd’hui par le 1er Ministre, cette idée est préconisée depuis des années par le Pr. Bichot. in La Retraite en liberté, p.76

[4] Actuellement, quelqu’un qui a liquidé sa retraite et qui a ensuite  l’occasion de reprendre un travail rémunéré cotise à nouveau pour la caisse de retraites ainsi que son employeur mais ne peut pourtant pas continuer à accumuler des droits à la retraite. Ceci est contradictoire avec l’incitation au travail des seniors.

[5] Jacques Bichot ; Plaidoyer pour la jeunesse. Pour un renouveau de la politique familiale ; in Futuribles n°427

[6] Yves Mamou. Le Grand Abandon, les élites françaises et l’islamisme, éd. l’Artilleur.

[7] Cf. le fameux théorème de Sauvy « Pas d’enfants, pas de retraites ! »

[8] Pr. Jacques Bichot. La Retraite en liberté.  Ed. Cherche Midi – 2017 – 15€