MINUS. La petite enfance en Grèce et à Rome

Publication : mercredi 15 mai 2019 13:46

 Charles Senard, docteur en études latines et sa femme, Louise de Courcel, anthropologue, ont publié un charmant petit livre, recueil commenté de textes de l’Antiquité gréco-romaine ayant trait à la petite enfance.

 Le livre est divisé en courts chapitres offrant un choix de textes anciens tournant autour de la naissance et de l’enfance : Pourquoi avoir des enfants ? Le lieu et le moment, stérilité, contraception, naissance, le rôle de la mère, du père, les jeux, les apprentissages, le bonheur familial, l’enfant victime, le deuil de l’enfant,  etc

 En haut de chaque texte choisi, le nom de l’auteur se détache d’une frise chronologique et ce texte est précédé d’un très court mais judicieux commentaire introductif.

 Au fil des pages on découvre avec amusement que l’âme humaine ne change pas vraiment et que les préoccupations d’aujourd’hui rejoignent celles d’il y a plus de 2000 ans : Les questions sont les mêmes : l’allaitement au sein maternel est-il nécessaire ? Faut-il laisser pleurer les enfants (Aristote dit oui, Platon rétorque que non). Tacite déplore que les enfants soient élevés par des étrangères. L’auteur satirique Lucien s’amuse à décrire les mariages gays « lunaires » et imagine comment les hommes sur la lune se passent des femmes, même pour concevoir les enfants qui naissent alors de leur mollet, auquel il prête l’étymologie de « ventre de la jambe ». Ovide, pourtant réputé licencieux, fait une charge contre l’avortement. C’est lui aussi qui décrit la fierté d’une mère de famille nombreuse. On s’aperçoit que nombre des jeux qui égayaient encore nos enfants avant l’irruption des écrans étaient déjà les jeux quotidiens des petits enfants de l’Antiquité : dés, osselets, billes, cerceau, dinettes, poupées, toupies, yoyo… L’importance du jeu y est soulignée et la psychologue Diane Drory, dans l’entretien introductif, souligne qu’il ne s’agit pas alors du jeu pédagogique auquel on se croit obligé d’astreindre aujourd’hui nos chers petits, mais du jeu libre, qui développe l’imaginaire et permet à l’enfant d’exprimer son agressivité et d’exorciser ses angoisses. D’ailleurs, Quintilien, Plutarque, Aristote discouraient déjà sur le bon âge pour commencer à s’instruire et Suétone évoque l’art d’être grand-père.

 Citons aussi un charmant texte du mémorialiste romain Valère Maxime, sur l’amour fraternel, plus fort que l’amour conjugal ou parental du fait d’avoir « reçu à plusieurs les mêmes  bienfaits » : « C’est le même domicile que j’ai eu avant de naître,  le même berceau qui m’a reçu au long de mon enfance, les mêmes personnes que j’ai appelées mes parents, les mêmes prières qu’elles se sont appliquées à faire pour moi, une gloire identique que j’ai tirée des portraits de mes ancêtres ». On y trouve même le poete franc Venance Fortunat qui vante la riche fécondité spirituelle des vierges consacrées : « Les fleurs de la chasteté font d’elle une mère charmante ; elle attire à elle une foule, elle qui n’a pas un seul fils, et l’amour de Dieu lui donne une descendance ».

 Depuis l’Antiquité, malgré tant de ressemblances, quelques petites choses quand même ont évolué. Le médecin grec Soranos d’Ephèse explique avec méthode et par le menu comment il convient de donner le bain à un enfant. Cérémonial compliqué qui se termine par « après le bain prendre l’enfant par les chevilles et le suspendre la tête en bas, afin d’écarter les unes des autres les vertèbres et de donner à la colonne vertébrale la courbe souhaitable. »

 A découvrir aussi parmi les cinquante-cinq auteurs cités, les points de vue de St Augustin, Plutarque Marc-Aurèle, Homère, Sophocle, St Jérôme et bien d'autres...

 En guise de préface, un entretien avec Diane Drory, psychologue et psychanalyste, spécialiste des troubles de la petite enfance. Ces quelques pages d’introduction rendent cet ouvrage extrêmement actuel, soulignant avec pertinence les concordances à travers les siècles.

 Pour finir, une notice en 10 ou15 lignes sur chacun des auteurs des textes cités. Suivie d’une bibliographie « pour aller plus loin ».

 Un vrai bonheur !

Claire de Gatellier

 

 

MINUS, la petite enfance en Grèce et à Rome, de Charles Senard et Louise de Courcel      Les Belles Lettres 2019 – 360 pages  15€