Lettre de Famille et Liberté à la Mission parlementaire d'information sur la politique familiale

Publication : jeudi 15 mars 2018 13:09

La Mission parlementaire d'information sur la politique familiale a demandé à Famille et Liberté son avis sur la politique familiale sous la forme d'une contribution écrite.

Ci-dessous le texte que nous leur avons adressé le 13 février 2018

Monsieur,

En nous informant que la mission d’information sur la politique familiale de l’Assemblée Nationale n’avait pas le temps de nous recevoir vous avez néanmoins demandé à Famille et Liberté de vous exprimer par écrit son point de vue sur la politique familiale, dans le cadre de la mission d’information que vous menez à ce sujet.

Le rapporteur de la commission, monsieur Guillaume Chiche, avait résumé lors d’une interview les objectifs de la politique familiale. Nous les reprenons ici pour les commenter :

Compenser les charges de famille induites par les enfants. La fécondité des familles est en effet le ressort de la survie de la nation. Aucune nation ne s’est jamais imposée sur la scène internationale sans une démographie permettant le renouvellement de sa population, l’équilibre des âges qui la compose, condition de leur solidarité, sa cohésion et sa prospérité. Les éléments de politique familiale ne constituent ni une aide ni un avantage, c’est seulement une question de justice.

Compenser ces charges que les familles assument pour le bien de tous revient à faire en sorte que le niveau de vie d’une personne avec enfants soit sensiblement équivalent, ou en tous cas pas trop déprécié, à revenu similaire, par rapport à celui d’une personne sans charge de famille. C’est ce qu’Alfred Sauvy avait résumé par une formule simple : « A niveau de vie égal, taux d’imposition égal ».

L’économiste Michel Godet a mesuré que le niveau de vie baisse de 13,3% pour un couple avec 1 enfant, de 14,6% pour un couple avec 2 enfants et de 24,6% à partir de 3 enfants par rapport aux couples actifs sans enfants (Les fameux Dinks : double income no kids)1. L’Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES) a été chargé par le Haut Conseil de la Famille d’une étude sur le coût des enfants2. Ce rapport estime à une moyenne de 750 le coût mensuel moyen pour la famille d’un enfant en-dessous de 18 ans. Sans compter, précise l’étude, les coûts indirects en temps consacré aux enfants et en « manque à gagner en termes de salaire et de carrière ».

1 Michel Godet, Evelyne Sullerot, La Famille, une affaire publique. 2010 et Michel Godet Repenser la politique familiale p.16 2011

2 Les dépenses consacrées par la société pour les enfants. Une évaluation du coût des enfants. Antoine Math. 2014

Ceci suppose d’une part des aides sous forme d’allocations familiales identiques pour chaque enfant (Le coût supplémentaire pour un enfant est significatif quel que soit le revenu3) et réductions ou tarifs dégressifs selon le nombre d’enfants, et d’autre part, une participation cohérente à l’effort d’impôt. En effet, selon la constitution, chacun doit payer l’impôt selon ses moyens.

A revenu égal, les moyens, c’est-à-dire le niveau de vie, d’une personne seule n’est pas le même que celui de cinq personnes vivant sur le même revenu. Le quotient familial est donc une exigence d’égalité devant l’impôt et en bonne logique ne devrait pas plus être plafonné que considéré comme un avantage. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’est pas classé dans les dépenses fiscales4. Ce n’est pas l’Etat qui aide les familles, ce sont les familles qui aident l’Etat, surtout dans le système de retraites par répartition qui est le nôtre.

En revanche, en suivant ce raisonnement, il ne serait pas illogique de fiscaliser les allocations familiales puisqu’elles améliorent le niveau de vie des familles, à condition de fiscaliser aussi bien sûr toutes les autres formes d’allocations pour tout le monde.

Remédier à la pauvreté des familles. Certaines familles sont beaucoup plus pauvres que d’autres. La politique la plus facile pour y remédier est de déshabiller Jacques pour habiller Paul. Ce n’est apparemment pas si efficace qu’on avait pu l’espérer et il y a de moins en moins de Jacques à déshabiller pour revêtir des Paul de plus en plus nombreux.

De plus, cette répartition des richesses, fruit de la solidarité nationale relève de la politique sociale dont il faudrait bien comprendre qu’elle n’est pas une politique familiale : Celle-ci est la redistribution horizontale entre ceux qui ont des enfants et ceux qui n’en ont pas, celle-là est la redistribution verticale entre différents niveaux de fortune.

A côté de la nécessaire politique sociale, il faudrait remédier à la pauvreté des familles par une vraie politique familiale qui pourrait commencer par une analyse sérieuse des causes de cette pauvreté. Car en plus des causes purement économiques et circonstancielles, on peut se demander s’il n’y a pas des causes structurelles dues à l’effondrement des solidarités familiales et l’explosion du noyau familial lui-même.

Le dernier rapport du Secours Catholique tirait la sonnette d’alarme en affirmant que « La pauvreté, c’est d’abord la crise des familles » et en précisant que « 60% des personnes accueillies déclarent n’avoir aucun proche sur qui compter ».

Tous les rapports officiels confirment que les plus grandes pauvretés se concentrent sur les familles monoparentales et les familles nombreuses.

Pour les familles nombreuses, tous les démographes nous disent que pour atteindre le simple renouvellement à l’identique de la population, il faut 2,1 enfants par femme en moyenne (taux de fécondité). Compte tenu des cas de stérilité, des femmes qui n’ont pas de conjoint, des couples n’ayant qu’un enfant, un pourcentage significatif de familles nombreuses est donc nécessaire et doit être encouragé.

3 Selon Michel Godet (Repenser la politique familiale p.25) comme selon le rapport du HCF le coût de l’enfant croît avec le revenu du ménage. In Le coût de l’enfant Haut Conseil de la Famille juillet 2015. P.38

4 Cf. HCF opus cité p. 51 et 80 et Antoine Math opus cité p.34

Quant aux familles monoparentales, on a beaucoup vanté l’autonomie de la femme qui n’a besoin de personne et surtout pas d’un mari. Mais il n’est pas sûr que les familles monoparentales, composées à 85% de femmes seules avec enfant (s) ne payent pas le prix fort pour une société « décomplexée » qui renvoie aux vieilles lunes toute forme d’engagement. Une réflexion approfondie sur ces questions, en brisant bien des tabous n’aurait-elle pas quelque chose à la fois libérateur et novateur ?

Concilier vie familiale et vie professionnelle

Beaucoup d’efforts ont été faits dans ce domaine et pourtant, le rapport de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale publié en octobre 2017 fait un constat d’échec sur la politique familiale. Peut-être là aussi faudrait-il explorer d’autres voies avec un autre prisme. Ne serait-ce que marcher sur deux jambes : bien des choses ont été tentées pour libérer les femmes de leurs enfants au profit de leur carrière mais elles ne sont pas suffisantes (manque important de places de crèches malgré toutes les promesses et tous les plans, interruptions de carrière etc.). Peut-être l’heure est-elle venue de développer en même temps l’autre versant complémentaire : libérer les femmes de leurs contraintes professionnelles lorsqu’elles souhaitent se consacrer pendant un temps davantage à leurs enfants sans hypothéquer pour autant leur retraite, un retour ultérieur à l’emploi dans de bonnes conditions. Il serait intéressant d’évaluer le gain pour la société de ce travail domestique en termes de santé, de diminution de délinquance juvénile ou d’échec scolaire, d’économies de places de crèche, etc.

Le taux de fécondité est descendu à 1,88 enfants par femme, alors que le désir d’enfant est resté à 2,5. Parmi les causes de ce désir non concrétisé figure la difficulté de concilier famille et travail. Michel Godet soulignait le célibat des jeunes femmes diplômées de l’enseignement supérieur : « 25% des diplômées à 40 ans sont sans enfant »5.

Le président de la revue Population et Avenir, le professeur Gérard-François Dumond, en étudiant « l’évolution de la fécondité au regard des changements de la politique familiale » en France de 1975 à aujourd’hui, a montré l’étroite corrélation entre ces deux éléments. Chaque fois qu’il y a eu un coup de pouce à la politique familiale, la natalité s’est redressée et chaque fois qu’elle était attaquée, la natalité a baissé.

En bref, nous proposons cinq critères qui définissent une réelle politique familiale :

SUBSIDIARITÉ : l’intervention de l’Etat doit se limiter à ce que les parents ne peuvent pas faire eux-mêmes. « La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents » (CIDE art.18). L’Etat doit les y aider sans s’y substituer. Plus les familles seront unies et solides, moins elles auront besoin d’Etat. Et plus l’Etat pourra se recentrer sur ses missions propres.

UNIVERSALITÉ : la politique familiale doit s’adresser à toutes les familles, sans distinction de ressources. Elle est une juste reconnaissance et un encouragement à l’investissement humain que représente la mise au monde et l’éducation des enfants. Or, comme nous l’avons vu plus haut, quel que soit le niveau de vie d’une famille, la venue d’un enfant est une charge supplémentaire.

COHÉRENCE : développer une sorte de family mainstreaming dans tous les domaines des politiques publiques (santé, culture, logement, travail, éducation, ...) afin que celles n’entrent pas en contradiction avec l’intérêt des familles.

5 Repenser la politique familiale ; Michel Godet p.34

STABILITÉ : Pour vouloir mettre au monde et élever un enfant, les parents ont besoin d’avoir une visibilité à long terme de la politique familiale et fiscale.

POSITIVE : La politique familiale ne doit pas être envisagée comme une charge, une distribution de faveurs concédée par un sentiment de générosité publique, mais comme un investissement dynamique de la nation dont la qualité conditionne la capacité de solidarité entre les générations aujourd’hui et demain.

Voici, Monsieur, résumé en quelques lignes, ce dont la France aurait besoin pour conforter ses familles, richesse essentielle de la nation. Nous avons voulu vous adresser une note concise mais les différents points qu’elle aborde sont développés et argumentés dans notre Livre Blanc pour une Nouvelle Politique Familiale que vous trouverez ci-joint, et dans nos diverses publications.

Je reste à la disposition de la Mission d’information Politique familiale de l’Assemblée.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées

Claire de Gatellier